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Rss LEON PIRLOT, de HOTTON, CHASSEUR ARDENNAIS 1940-1945

"Je suis entré à l’armée le 16 octobre 1939. J’ai fait mon instruction à la caserne Prince Baudouin, à Bruxelles, place Dailly, au 2e Chasseurs Ardennais.
Lors de la création du bataillon moto des Chasseurs Ardennais, on a demandé des volontaires. Personne ne s’étant présenté, on a pris d’office ceux qui avaient déjà été punis… j’étais du nombre.
Nous avons quitté Bruxelles vers la mi-janvier pour Ernage – un dépôt de l’armée – où nous sommes arrivés le 23 février 1940. Chaque jour, nous allions à la sucrerie de Gembloux, où le lieutenant Leblanc nous initiait à la conduite des engins. Nous y sommes restés un mois et demi.
L’instruction terminée, nous sommes venus en cantonnement à Fisenne. Je faisais partie de la 3e Compagnie Engins, tandis que Louis Bresmal appartenait à la 1ère Compagnie. Ma sœur et une tante de Louis sont venues nous rendre visite un dimanche. Un jour, nous avons également eu la visite de deux braves sœurs. Je les ai vues, mais je n’ai pas parlé avec elles. Elles auraient fait partie de la 5e Colonne – on me l’a appris par après – mais trop tard, hélas.
Je montais de garde, suivant mon tour, sur le versant où l’on découvrait le village d’Erezée et son pont au pied de la colline. Ayant bénéficié d’un congé de 10 jours en qualité de fermier, j’étais chez moi le 10 mai."







Nous sommes le 10 mai 1940 et le soldat Pirlot, Léon, Bon.Moto Chasseurs Ardennais 3e Cie Engins N° matricule : 296 1401 est chez lui, bénéficiant d’une permission de 10 jours.

"Ce jour-là, j’ai été réveillé vers 4 heures par des bruits anormaux d’avions. M’étant levé un peu plus tard, je suis allé voir : de nombreux avions sillonnaient le ciel à très haute altitude, laissant derrière eux des traînées de condensation, ce qui ne se voyait jamais à l’époque. Avant mon lever, j’ai aussi entendu des déflagrations. C’était la gare de Jemelle qui était bombardée. Germaine Dehez qui m’aperçoit dans la cour me crie : « C’est la guerre ! Les soldats doivent rentrer, on l’annonce à la radio. » J’allume mon poste et, en effet, le journaliste de service répète ce que la voisine vient de me dire, annonçant l’envahissement de la Belgique par les Allemands et le bombardement de Jemelle et d’Evere.
C’est ainsi que, vers 7h30, je pars à vélo pour Fisenne, pour la captivité… pour 5 ans… Je rejoins mes camarades qui occupaient les positions dans les bois. Certains tiraient inutilement sur les avions qui continuaient toujours à passer haut dans le ciel. »



La guerre vient d’être déclarée par l’envahissement de la Belgique par les troupes allemandes et le soldat Léon Pirlot vient de rejoindre ses camarades dans les bois de Fisenne.



"A minuit, nous nous replions vers Fraiture, on incendie les bâtiments au préalable. Le soldat André Albert se serait tué en dévalant la pente boisée, après le pont d’Erezée, direction Fisenne, en ayant raté un virage dans l’obscurité? Des camarades m’ont raconté qu’au pont d’Erezée, ils avaient vu des Allemands transporter des madriers pour réparer le pont sauté et que, quelques semaines auparavant, un civil les avait commandés à la scierie Dory, qui se trouve à peu de distance de là.
A 5h., nouveau repli vers Temploux. J’omets cependant de dire qu’au cours de la retraite vers Oppagne, au cours d’une halte, j’ai revu Robert Delacolette, lieutenant, et mon voisin Alexandre Guissart, du 3e Chasseurs Ardennais. Il m’a raconté avoir déjà combattu à Chabrehez, où l’ennemi a été arrêté pendant plusieurs heures, et que les Allemands avaient tué des civils. Il avait l’air assez excité. Nous étions déjà mêlés aux évacués, qui encombraient les routes. Ils m’ont dire venir de Vielsalm.
A Temploux donc, le dimanche 12 vers 15h, une vague de bombardiers arrive, lançant des chapelets de bombes. J’en vois tomber sur les maisons, partout. Cela dura jusque vers 20h. Heureusement, nous étions bien camouflés dans un bois et ils ne nous on pas aperçus. Sur les hauteurs, des baraquements militaires étaient en feu et Temploux détruit.
Pour atteindre cette localité, nous sommes passés par Huy où le pont miné allait sauter aussitôt notre passage effectué. Les artificiers se démenaient, criant : « Passez vite, vite, le pont va sauter ! » En effet, à peine suis-je passé que j’entends la déflagration. Des soldats isolés d’autres unités n’ont pu passer !
A 9h., le bataillon reçoit l’ordre de se rendre à Perwez pour y défendre l’obstacle antichar Cointet (appelé du nom de son inventeur cet obstacle était constitué de grilles d’acier montées sur rouleau, hautes de 3 m et larges de 5, pesant 1300 kg, uniquement sur route. Les rouleaux servaient à les déplacer pour le passage éventuel de véhicules. Les autres grilles étaient fixes.) Pour nous y rendre, nous roulons dans un chemin agricole encaissé et étroit."



Le soldat Léon Pirlot est, avec ses camarades, chargé de défendre un obstacle antichar Cointet à Perwez.



"Arrivés sur les lieux de défense, nous prenons position dans un chemin creux à une certaine distance de la barrière antichar s’étendant sur des kilomètres, des kilomètres…
Un officier du bataillon nous renseigne sur notre mission : « il va y avoir une bataille, des chars allemands vont vous attaquer. Votre mission est de défendre l’obstacle Cointet . » Fusils contre tanks ! Heureusement, les Chleuhs ont accompli leurs exploits dans une autre zone de combat. A 11h., bombardement de la ville.
Le 13 (mai) à Perwez, je me souviens, nous étions sur la place du village. Les balles nous sifflaient aux oreilles ; les Marocains, impassibles, avaient posé des mines sans nous avertir, ce qui rendait tout déplacement dangereux.
A un Marocain qui fumait tout près d’une mine : « Que ferais-tu si les Allemands arrivaient ? » « Je déposerais ma cigarette sur la mine » répondit-il, stoïque. Par après arriva près de moi une ambulance dont l’arrière avait reçu une rafale de mitrailleuse. Je reconnais le chauffeur, Gaston Hébrant, de Verdenne, que je n’avais plus vu depuis plusieurs années. Des bombes tombaient à 20 m. et me glaçaient le sang. Puis vint la nuit, une nuit noire : on n’y voyait pas.
Dans cette nuit terrible, le sergent m’avait ordonné de porter l’ordre de repli à quelques camarades qui auraient dû se trouver dans les parages. Je n’ai pu les avertir : je ne les ai pas trouvés. Pendant le jour, certains ont commencé à piller les magasins. Nous ne recevions rien à manger : on tirait son plan comme on le pouvait. Je n’ai reçu qu’une fois à manger durant les quinze jours de guerre et je n’ai vu la roulante qu’une fois.
En conséquence on ne mangeait que ce que les civils voulaient bien nous offrir, quand civils il y avait sur les lieux. Sinon, il fallait voler dans les magasins pour survivre !
J’étais sorti d’une épicerie avec un camarade ou deux. J’avais en main un paquet de biscuits genre ‘Petit-Beurre’, quand une voisine nous prend à partie et nous crie : « Vous êtes encore pires que les Allemands ! » Sans doute ignorait-elle notre détresse, je lui répondis : « Les Boches vous mangeront Madame ! »Puis, nous sommes partis vers notre triste destinée, rejoindre nos side-cars.
Nous avons reçu chacun, comme vivres de guerre, des biscuits très durs qui, trempés dans l’eau, augmentaient de volume et étaient excellents, surtout la faim aidant. Ils étaient contenus dans une boîte d’aluminium, d’environ 15 cm X 10cm X 10 cm, avec défense formelle de les manger sans en avoir reçu l’ordre. Je suis toujours en possession de la boîte, mais pas des biscuits…"



Le soldat Léon Pirlot est, avec ses camarades, dans la région de Perwez, le 14 mai 1940:



"Le 14, repos après avoir effectué un repli jusque la Hutte, près de Genappe, pendant le nuit. Journée du 15, nouveau repli à 0h15 pour Huyzingen. Repli, repli… toujours repli. Nous y rencontrons les premiers Anglais. Nous les avons salués et applaudis. Ils avaient placé un canon D.C.A. sur une butte . Quand, vers 9h arrivèrent plusieurs avions, nous nous sommes cachés, mais les Anglais, assis sur l’affût, ont commencé à tirer sur les avions malgré la mitraille. Un Heinkel prit feu et tomba dans les parages du bataillon. Les cinq hommes de l’équipage furent conduits auprès du commandant Krémer, qui les remit aux Anglais après interrogatoire, ils étaient tous très jeunes.
Au cours de ces différents replis, il fallait rouler parmi les réfugiés qui encombraient les routes de façon indescriptible : de pauvres gens se déplaçant à vélo, en charrette, en voiture, à pied… On était tellement fatigué que je m’endormis quelques secondes sur la machine. En plus, on avait faim. Je me rappelle aussi les fils téléphoniques cassés ou tendus qui étaient de véritables pièges, blessant et tuant.
Vers 17h30, départ pour Iderghem, puis pour Hofstade. Félicitations par le Roi au bataillon Moto pour ses missions périlleuses accomplies.
Le vendredi 17 mai, nouveau repli à 8h30 pour Slotendries, au nord de Gand. Nous sommes arrivés à minuit et, là, nous recevons des side-cars, des motos et des tricars neufs. Samedi 18, départ à 10h. vers St-Gilles-Waas.
Le 19 mai, nous occupons un bras de l’Escaut entre Doel et Anvers. Repli vers 10h. du soir pour nous rendre en Hollande. On voit de la fumée qui s’élève au loin, à l’horizon, le drapeau rouge à croix gammée flotte sur la tour de la cathédrale d’Anvers. Des camarades ont capturé un side-car ennemi.
Le lundi 20, nous effectuons des travaux de campagne. Le jour, nous creusons des trous pour nous cacher de la vue des avions et, la nuit, nous nous replions conformément aux ordres donnés. Les Allemands avaient malheureusement la maîtrise du ciel, pas un seul avion ami n’a été aperçu jusqu’à présent. Où sont-ils ? Que font-ils ?
Je me souviens d’un acte héroïque, mais je ne sais plus ni la date ni le lieu exacts, la scène se passait dans la courbe d’un village. Des servants d’un 4,7 Chasseurs Ardennais (petit canon antichar très efficace) stoppaient l’avance des soldats ennemis. Pour ce faire, ils tiraient au moyen d’obus fusants (je crois que le terme est exact) qui sont des obus qui éclatent presque à la sortie du tube aussitôt tirés. Ils tiraient à bout portant. Imaginez le carnage ! Mais il n’a pas duré longtemps : des stukas sont arrivés et, après un ou deux passages, il ne restait plus rien que des débris… Nous sommes passés à cet endroit un quart d’heure après…"



Nous retrouvons le soldat Léon Pirlot, avec quelques camarades, ayant perdu sa colonne et ne sachant pas où se trouvent les ennemis…:



"Après avoir roulé quelque temps en pleine campagne, nous voyons une maison dont une fenêtre est éclairée. Nous nous y rendons, c’est une fermette typiquement flamande, sans étage, très basse. Nous frappâmes à la porte et un vieux couple vint nous ouvrir. Ces deux vieilles personnes avaient l’air apeuré, sans doute à la vue de nos grands casques motocyclistes en liège (à ce propos, il nous avait été conseillé de ne plus nous en coiffer car, les Anglais, la nuit, nous confondaient avec les Allemands). Il ne fut pas possible d’obtenir de ces gens le moindre renseignement, nous ne comprenions pas. Que faire ? Dans quelle direction se rendre ?
Nous avons roulé une partie de la nuit sans savoir où nous étions ni où nous allions. Nous craignions de nous jeter dans les lignes ennemies. Nous avons continué de rouler une partie de la matinée du samedi 25, à la recherche de notre bataillon.
J’oublie de dire qu’avant ces incidents nous étions passés par Ypres avec arrêt près du monument 14 – 18. Là, j’ai revu Joseph Henrotin, de Marenne. Le 10 mai, les travailleurs du rail avaient été mobilisés comme nous, les militaires. Ils se repliaient aussi devant l’armée allemande. Après la capitulation, Joseph était rentré à Marenne et avait rendu compte de notre rencontre à mes parents. Il paraît que j’étais méconnaissable !
Vers 2h., par hasard, nous retrouvons la deuxième compagnie à un carrefour. Le lieutenant Renard, qui remplaçait le lieutenant Gérard tué avec trois soldats lors d’une patrouille le 23 à Oycke, nous lance « Tirez-vous de mon chemin, tirez-vous de mon chemin ! ». Bon, il faut bien continuer et, finalement, nous retrouvons nos camarades. Je comprends que, dans certaines circonstances, on peut être énervé, mais quand même ! Nous tombons sur le commandant Reyntens de la 1ère compagnie, père jésuite et homme de grand cœur. Il nous apprend le maniement d’une grenade car, jamais, on ne nous en avait montré une ! Pour une troupe d’élite, ce n’est pas croyable ! La MI10 (mitrailleuse Maxim) que nous avions datait de 1916 ; on nous fait prendre position le long du chemin de fer qui se trouvait à proximité.
Tout est calme. Soudain, un civil pressé traverse les voies. Je lui demande s’il n’a pas vu les Allemands, il me répond que non et continue son chemin à travers tout. A l’heure actuelle, je me demande toujours si ce n’était pas un espion et me repens de ne pas l’avoir arrêté pour vérification d’identité.
Quelques minutes après, nous entendons des cris au-delà du chemin de fer. Le talus nous empêche de voir ce qui se passe. Les cris se rapprochent. A l’endroit où nous étions, un chemin empierré avec un passage à niveau non gardé traversait la ligne. Un petit aqueduc la traversait également et je me rappelle avoir entendu les Boches patauger dans l’eau, sans les voir."



Nous retrouvons le soldat Léon Pirlot, avec quelques camarades, loin dans le nord de la Belgique, à quelques mètres ce l’ennemi…:



"Nous avions abandonné les engins à une centaine de mètres, dans une prairie. Tout à coup, j’aperçois Narcisse Lemauvais, de Fronville, qui marchait dans la direction des motos, tout en tirant. Il me demande si je n’avais pas vu Louis Bresmal (ces deux camarades appartiennent à la 1ère Cie) . Je lui réponds que non et lui crie : « Mais ne tire pas comme ça, cache-toi ! » Mais, pour cela, il aurait dû venir près de nous… Tels furent nos derniers mots… le malheureux tomba raide mort. Honneur à ce brave ! Je pardonne, mais n’oublierai jamais. Mon père était aussi un ancien combattant…
Les Allemands franchissent la ligne de chemin de fer et, debout, tout en tirant, hurlaient comme des lions. On nous a appris après qu’ils nous demandaient de nous rendre. A chaque coup de fusil que je tire, ils répondent par une rafale de mitraillette. Nous sommes obligés de sauter dans le fossé longeant le chemin, parce qu’ils nous prennent en enfilade. J’ai de l’eau boueuse presque jusqu’aux genoux; je vois les balles, c’est-à-dire leurs impacts qui font jaillir la terre à un mètre de moi. Ensuite, ils sautent dans la prairie.
La mitrailleuse, qui n’a plus que trois pieds, j’ignore dans quelles circonstances elle avait perdu le dernier, n’a pas tiré. Les servants ont été blessés de même que le sergent qui la commandait. Je n’ai rien vu de la scène avant que celui-ci ne soit étendu dans le fossé. Grâce à Dieu, il a dû se rétablir étant donné que son nom n’a pas été repris dans la liste des tués du Bn.Moto. J’ai remarqué que le caporal avait pris sa place.
Sous le nombre, nous avons dû nous rendre. Ils nous ont fait sortir du fossé puis nous ont alignés, j’ai cru qu’ils allaient nous fusiller. Ils ont brisé nos fusils puis, à coups de pied, nous ont font avancer. Déjà, les sanitaires pansaient les blessés allemands.
Lorsque nous passions près d’un cadavre, ils nous injuriaient et nous menaçaient. Un gradé nous a demandé pourquoi nous nous battions : « Vous êtes wallons ? Nous savions où le front n’était pas fort défendu ! » Ils nous ont rassemblés dans la cour d’une ferme. Nous ne pouvions communiquer entre nous. J’y ai revu Louis Bresmal auquel j’ai dit : « Tu es déjà là ! »
Ils nous ont rassemblés dans une cour de ferme, entourée de barbelés. Je vois, à quelque distance, des soldats allemands qui déchargent du pain d’un camion. A tout hasard, je m’avance jusqu’aux barbelés et dis au soldat le plus proche : « Geben brot, brot ! ». Il est allé me chercher un pain de l’armée. Il était dur mais, malgré tout, il a été vite mangé. Je me suis dit qu’il y avait quand même de bons soldats chez eux…
Pour la nuit, ils nous ont fait monter au fenil. Là, j’ai revu beaucoup de mes camarades. Des blessés aussi , parmi eux, le petit Volvert, mais la plupart étaient restés dans la grange. Pendant la nuit, j’ai entendu Volvert gémir et crier « water, wasser », il provenait de la frontière allemande et était engagé volontaire. Il n’avait que 18 ans : c’est un des plus jeunes Chasseurs Ardennais morts pour la patrie. Il n’était pas possible de lui porter secours, nous ne pouvions même pas nous parler… Le matin, lorsque nous sommes partis, je l’ai vu… mort !
J’ai noté dans mon petit agenda, à la date du 2 juin : « Départ de Hasselt, vers 14h., pour Maastricht, nuit passée sur les bords du canal Albert – Attaque de l’aviation alliée. »
J’ignore l’heure et le nombre d’avions canadiens (?????) – on distinguait très bien la feuille d’érable dessinée sur la carlingue et les ailes. Après différentes étapes pédestres, la colonne de prisonniers était arrivée à Vroenoven, où le fameux pont sur le canal Albert était tombé intact entre les mains allemandes, par surprise et trahison.
Les sentinelles nous avaient ordonné de nous coucher sur le pont pour y passer la nuit, quand, tout à coup, des avions canadiens(?????) nous ont mitraillés. Ça a été le sauve-qui-peut général, surtout chez les Allemands. J’en ris encore ! Je n’ai pas eu connaissance de mort ou de blessé parmi nous. Sans doute tiraient-ils mal!"



Nous retrouvons le soldat Léon Pirlot, prisonnier du Stalag IV A, Hoyerswerda (Saxe). : à l’aide de quelques photos, faisons connaissance avec l’environnement du prisonnier Pirlot










"Aucun prisonnier n’a reçu pareille demande… L’action se passe en février 1945, ce jour-là, j’étais seul avec une petite servante de 17 ans qui avait l’air bien malheureuse le fermier, sa femme, le fils et la fiancée d’un autre fils tombé à Stalingrad (le 11.11.1942) étaient invités à une cérémonie d’hommage organisée par les nazis. J’ignore dans quelle localité. Deux autres fils de la ferme ont été tués en Russie et un quatrième était à l’armée.
Je suppose que l’autre servante et le Russe avaient bénéficié d’un jour de congé. Le travail de Frieda consistait à confectionner de petits fagots avec les branchettes des arbres que l’on avait ramenés entiers dans la cour, par temps de neige. Moi, je fendais des bûches.
A 10h., comme d’habitude, je vais manger un bout, c’était un quart d’heure de perdu. Je demande si elle ne vient pas, elle me répond par la négative, mais quitte son travail et va dans sa chambre. Après avoir pris mon temps et bien mastiqué ma tartine, je retourne à mon travail. Frieda fait de même, mais vient me trouver et, me tendant sa petite hachette, me demande de lui couper le doigt… parce qu’elle ne voulait plus travailler à la ferme. Sous le régime nazi, on ne quitte pas son emploi sans motif sérieux, que cela vous plaise ou pas.
Cet incident me tracassait, j’avais peur qu’elle ne dise : « C’est le Belge qui l’a sectionné » Qui aurait-on cru ? Toucher à l’intégrité physique d’une jeune Allemande était punissable soit de la peine de mort soit d’un long séjour à Rawa-Ruschka. Il était strictement défendu d’adresser la parole à une femme allemande.
Dès que j’ai entendu le pas des chevaux, j’ai couru vers le landau et le fermier m’a demandé « Où est Frieda ? » Je ne l’ai plus revue…"





"Nous étions au début de mars 1945, il faisait encore bien froid. Après avoir dîné, je vois dans la cour (c’était une ferme bâtie en carré, avec une grande cour au centre) trois ou quatre Russes, prisonniers de guerre, sur le fumier situé face à la porte de l’étable. Ils ramassaient des épluchures de pommes de terre jetées par l’une des servantes.
Je regarde vers la grande grange et vois d’autres Russes, ainsi qu’à l’intérieur… Quand étaient-ils arrivés ? Ils étaient plus d’une centaine. Pauvres malheureux ! J’aurais pu prendre un pain ou tout au moins trois ou quatre tranches pour leur donner, c’était beaucoup trop peu pour les rassasier. Je pense aux choux raves dans la cave… En les coupant pour les vaches, j’en mangeais quelques tranches, à vrai dire ce n’était pas mauvais ; en plus, je me disais que crus ils contenaient des vitamines."





"Je décide que, le lendemain, j’avalerai vite mon dîner, m’emparerai d’une manne et irai dans la cave dont l’entrée est située sur le côté de la cour-cave creusée dans les roches de sable. Après avoir rempli la manne le plus possible et parce que je ne connais pas le russe, je fais signe avec les mains à quelques prisonniers près de la grange. Mais c’est au moins une vingtaine de Russes qui accourent, me bousculant, criant et me faisant tomber. Voilà les choux qui roulent partout, puis, subitement, les Russes lâchent prise, je parviens à me relever et que vois-je ? Un soldat allemand, un feldwebel, pistolet au poing qui se lance sur moi en criant : « Sie wissen was das Wort, Russe bedeudet ! »D’où sortait-il cet animal ? J’avais eu chaud, bien qu’il fasse froid, et très peur.
Le lendemain, à midi, les malheureux étaient partis, où ? Quand j’ai eu dîné, je vais, comme d’habitude, dans la grange chercher de la paille hachée. Je pose la manne par terre et veux la remplir en poussant la paille avec les mains. Tout d’un coup, je saisis, avec les mains, un soulier avec un pied, puis une jambe, alors là, quelle frayeur à nouveau ! Je ne m’attendais pas à une pareille découverte. J’ai averti le fermier, on a retrouvé cinq ou six morts, on les a enterrés derrière la ferme.."
Le 8 mai 1945, la sentinelle, très tôt le matin, nous avertit que nous sommes libres et que nous pourrons partir après avoir dîné. Quelle joie ! Quelle joie ! J’en fais part en rentrant.
La fermière et une servante préparaient la pâte pour le pain. A la ferme se trouvait une femme, évacuée avec deux jeunes filles. Je ne sais d’où elles venaient, mais elles ne m’adressaient jamais la parole. C’étaient de pures nazies, sales bêtes ! Voilà que la mère dit : « Ce n’est pas parce que Hitler a perdu la guerre que je ne serai plus nazie ! » Crève avec ton Hitler, ai-je pensé, mais personne n’a répondu.
Dans un village où à chaque maison pendait un morceau d’étoffe blanche en signe de reddition, un gros monsieur nous déclare pouvoir nous reconduire en Belgique avec son camion, des vivres et du carburant (gazogène). Dans la benne se trouve des caisses, on nous défendit de les ouvrir, tant pis. Ce qui comptait pour nous, c’était le retour. Nous nous installons sur le camion avec les pieds pendant au dehors de la benne. Le gros Allemand avait un chauffeur, il faisait bon, celui-ci conduisait torse nu. Nous arrivons à Karlsbad, nous y rencontrons les premiers Américains. Ils voient un civil avec nous, font arrêter le camion, s’emparent du gros malgré ses protestations puis nous laissent passer ; sans doute prenaient-ils le chauffeur pour un prisonnier."



Après d’étonnantes aventures qui émaillèrent ce voyage de retour, après avoir été menacé un Russe tout à fait saoul grâce à une bouteille de whisky américain d’une contenance de 3 litres, après avoir vu apparaître une étonnante blonde engagée de force dans la Wehrmacht, le groupe de prisonniers belges dont faisait partie Léon Pirlot fut pris en charge par les Américains qui les ramenèrent. Quelle épopée, malheureusement vécue par tant d’autres jeunes gens qui avaient la malchance d’avoir 20 ans en 1940.

Sources internet et iconographiques:


https://lapetitegazette.net/2016/07/27/leon-pirlot-de-hotton-chasseur-ardennais-1940-1945/
 
 
Note: 5
(1 note)
Ecrit par: prosper, Le: 01/09/16


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