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Rss Seul entre Meuse et Ourthe, Boncelles tient...
BRICOLAGE

En mai 1940, le fort de Boncelles était, avec celui d'Embourg, le fort le moins puissamment armé de la Position Fortifiée de Liège. Il appartenait en effet à la PFL 2, la ligne des anciens forts Brialmont de la rive droite de la Meuse, réarmés et réaménagés à partir de 1928.
Sa mission consistait simplement à servir de point d'appui à l'infanterie qui, à la mobilisation, prit position entre Seraing et Boncelles (6° de Ligne) et entre Boncelles et l'Ourthe à Colonster ( 28° de Ligne).
Pour seule artillerie, Boncelles ne possédait que quatre coupoles éclipsables, armées d'un obusier de 75 mm dont la portée maximale n'excédait pas 5.200 m. La défense anti-aérienne était dotée de huit mitrailleuses permettant le tir contre les avions volant bas (MICA), installées sommairement à une centaine de mètres du fort, dans des trous creusés au milieu des prairies. La défense rapprochée était assurée par quelques fusils-mitrailleurs installés dans les coffres de défense des fossés, le FM du « corps de garde de guerre »(protection de la rampe d'accès) et des sept FM qui équipaient la tour d'aération. Cet étrange champignon de béton, haut de 13 m, situé à 200 m du fort, devait permettre une meilleure ventilation des galeries qu'en 1914 mais il constituait une cible et un repère de choix. Le vieux fort avait en effet été réarmé sous le double signe de l'économie et d'un savant bricolage: les coupoles par exemple réutilisaient les puits des anciennes pièces de 57 mm d'avant 1914, avec des avant-cuirasses de récupération provenant des forts de Suarlée et de Waelhem et des obusiers d'origine germano-portugaise. On s'était enfoncé sous terre, mais moins que prévu, étant donné l'existence d'une nappe phréatique impossible à drainer, et l'on s'était borné à renforcer le bétonnage des locaux et galeries, à tel point qu'on ne pouvait circuler que courbé dans certaines d'entre elles.
Et pourtant, le secteur que devait défendre Boncelles revêtait une grande importance: il était le seul fort entre les vallées de la Meuse et de l'Ourthe. Le développement de ce secteur était disproportionné par rapport aux moyens dont il disposait, les forts voisins d'Embourg et de Flémalle se trouvant respectivement à 6.400 et 5.600 m. Les obusiers de Boncelles ne pouvaient battre les abords ni d'Embourg ni de Flémalle et ne pouvaient pas soutenir les voisins en cas d'investissement ennemi. Ce fut avec cet armement dérisoire, et sous la légèreté des « replâtrages» effectués entre les deux guerres, que le fort de Boncelles assumera, dès le 11 mai 1940, après la retraite de l'infanterie des intervalles, la mission de fort d'arrêt.


UN CHEF
Numa Charlier

Depuis le début des travaux de réarmement en 1928, Boncelles était commandé par Numa Charlier, chef attachant qui savait entraîner ses hommes. Volontaire de guerre en 1914, il avait décroché au front son étoile de sous-lieutenant d'artillerie. Resté à l'armée après l'armistice de 1918, il suivit les cours de l'Ecole Militaire, dont il sortit en 1928 avec le titre d'ingénieur. Capitaine en 1929, il prit le commandement du fort de Boncelles. Commandant en 1935, il renonça deux ans plus tard à l'avancement afin de rester à la tête de «son» fort. L'artillerie de forteresse était de recrutement très local; Numa Charlier connaissait personnellement tous ses hommes, les rappelés de 1939 ayant déjà servi sous ses ordres. Cependant, pour qu'un courant de sympathie respectueuse puisse passer, il falait avoir vaincu l'impression glaciale du premier contact, parfois même désastreuse, et que le commandant lui-même ait vaincu sa propre timidité et sa propre réserve. Pour nombre d'anciens du fort, le commandant garde l'image d'un père à la fois attentif et rigoureux. Une inspection surprise du Roi et du général Van Overstraeten en octobre 1939 permettra de constater que le fort paraissait « bien commandé ».
La garnison au complet comptait, après la mobilisation, treize officiers ou candidats-officiers et 304 sous-officiers et hommes de troupe. Une relève hebdomadaire était effectuée entre une équipe de service au fort et celle en cantonnement de repos à Ougrée. Le 11 mai, l'ordre sera donné d'évacuer vers l'armée de campagne la garnison de réserve et le fort ne sera plus occupé que par le commandant, cinq officiers, deux candidats sous-lieutenant de réserve, trois médecins, l'aumônier et environ 170 hommes.
Le 9 mai 1940, vers 16 heures, à l'extrême limite sud de l'aile gauche allemande, la 251° Infanterie Division prit position à Kalterherberg, pour franchir la frontière belge le lendemain matin. Son premier objectif important était la neutralisation des forts de Boncelles, Embourg et Flémalle. Un de ses régiments, le 451° Infanterie Regiment, était plus particulièrement chargé de s'emparer de Boncelles. Au fort, ce 9 mai fut un jour comme les autres, éclairé par un soleil radieux. Mais dans la nuit, à 23 h 35, le GQG belge diffusa l'ordre d'alerte. Ce n'était plus un exercice comme tant d'autres, l'alerte était bien réelle…


DANS L'ETAU

Le fort de Boncelles fut alerté dès minuit 42 et la machine, bien rôdée depuis septembre 1939, se mit en marche sous l'impulsion du commandant Charlier. Dans l'après-midi du 10 mai, le fort était opérationnel; baraquements détruits, coffre de défense du corps de garde de guerre approvisionné, matériel inutile évacué… L'approvisionnement sera largement complété dans les deux ou trois jours suivants la récupération des munitions, vivres et autres équipements abandonnés par l'infanterie belge en retraite.
Les premiers Allemands ne furent aperçus par les défenseurs de Boncelles que dans la journée du 13 mai 1940. Les premiers obus tomberont sur la cheminée de la cuisine peu après 17 heures. Quelque temps après, le poste d'observation de Famelette (Beauregard) sera abandonné et la situation des autres postes deviendra de plus en plus précaire. La batterie allemande qui pilonnait Boncelles sera détruite par les canons du fort de Flémalle. Boncelles, n'ayant que peu d'observateurs extérieurs, se contenta d'effectuer quelques tirs d'interdiction sur des objectifs préalablement repérés ( croisement de routes ), et, à la limite de portée efficace de ses obusiers, sur le pont de Tilff qui avait été imparfaitement détruit et sur lequel l'infanterie allemande pouvait encore passer.
Dans la nuit du 13 au 14 mai, l'abri d'observation FB2 (Seraing-Boverie) sera abandonné et les seuls « yeux » extérieurs du fort seront l'abri FB3 (Bois de la Marchandise, avec vue sur la route Plainevaux-Seraing) bientôt abandonné lui aussi, la tour d'aération du fort et le poste d'observation cuirassé au sommet du massif. E nombreux tirs seront encore effectués, laissant au hasard le soin d'atteindre un objectif ennemi…
L'armement, quant à lui, était encore intact et le moral de la garnison restait bon.


DÉLUGE D'ACIER

Les Allemands du 451° I.R. consacrèrent la journée du 14 mai à observer le fort et à placer judicieusement leurs pièces d'artillerie, principalement des 37 mm PAK et des 88 mm FLAK, pour un tir direct sur les coupoles. Comme des nombreuses patrouilles allemandes étaient signalées dans un rayon de 500 m autour du fort, trois des quatre coupoles participèrent à une série de tirs « d'arrosage » qui causèrent quelques pertes chez l'ennemi. Les premiers bombardements aériens par STUKAS commencèrent vraiment en fin d'après-midi du 14 mai.
Le général Kratzert, comandant la 251°I.D. , espérait prendre Boncelles dès le lendemain 15 mai en combinant plusieurs moyens d'attaque. D'abord les STUKAS qui, grâce à la précision de leurs bombardements, devraient faire s'écrouler les murs de contrescarpe, neutralisants les F.M. des coffres et permettant aux pionniers de descendre en sécurité dans les fossés. Ensuite, les canons de 88, placés à moins de 1.000 m du fort, devaient neutraliser les coupoles grâce à la précision de leurs tirs tendus. Enfin les pionniers donneraient l'estocade finale.
Les choses se déroulèrent selon la plan prévu: le 15, vers 11 h 30 , en l'espace de quelques minutes, trois coupoles étaient hors service, trois hommes tués et plusieurs blessés. Pendant ce temps, le maréchal-des-logis, Antoine Vigneron se battait comme un beau diable, armé d'un seul F.M. au corps de garde de guerre. Il tiendra, avec sa petite troupe, jusqu'au lendemain matin.
Sa position devenue vraiment intenable , il la quittera après avoir causé des pertes importantes dans les rangs allemands.
La tour d'aération avait été prise sous le feu d'un canon de 37 mm PAK et d'au moins une pièce de 88 mm. Sa carapace de béton fut percée et il ne fut possible d'occuper cette position. La ventilation du fort dut être arrêtée pour éviter l'aspiration des poussières et fumées à l'intérieur. On devra même inverser la ventilation pour tenter de refouler les poussières.
Cependant, la coupole II était encore intacte et, pendant la nuit du 15 au 16 mai , sous la direction du commandant, elle effectuera un baroud d'honneur, en tirant des boîtes à balles tant que se sera possible.




ME RENDRE ? JAMAIS !

Malgré la puissance des moyens mis en œuvre, les Allemands n'avaient pu réussir à prendre le fort le 15 mai. Dès les premières heures du 16, ils recommencèrent, STUKAS à l'appui. Par vague de quatorze appareilles, ils lâchaient une bombe toutes les deux minutes. Un STUKA en perdition s'écrasa au sol vers 7 h 30. Vers 9 heures, le commandant, accompagné du lieutenant Lhoest et du maréchal-des-logis Foidart, inspecta les différents organes du fort: peu étaient encore utilisables et le moral déclinait d'heure en heure. La coupole II avait cessé de tirer à l'aube, le coffre du corps de garde avait du être évacué. Vers 10 h 30, la situation étant devenue très critique tant sur le plan matérielque sur le plan humain, le commandant se décidera à réunir le conseil de défense: le lieutenant Mélon, commandant en second, le lieutenant Lhoest, le plus jeune officier; le lieutenant Nokin, secrétaire; le lieutenant-médecin Mills et l'aumônier Dejardin.
De l'avis unanime des officiers interrogés par le commandant, il fallait rendre le fort pour éviter des pertes inutiles, puisqu'il était isolé, aveugle et ne possédait plus que peu de moyens de défenses.
Après avoir réfléchi longuement, le commandant Charlier déclara: « En âme et conscience je ne puis rendre le fort. Nous disposons encore d'une coupole, des armes, des munitions, des vivres. La tour d'air peut encore servir pour l'aérage, les moteurs sont intacts, la réserve de mazout est suffisante, les coffres de gorges peuvent êtres occupés, nous résisterons. Quels sont ceux qui restent avec moi?» A ces mots tous les officiers se levèrent et répondirent « A vos ordres, mon commandant ». Il fut décidé que seuls des volontaires resteraient au fort pour continuer le combat et que les autres seraient évacués par la sortie située au pied de la tour d'air et tenteraient de rejoindre l'armée de campagne. Les premiers à tenter la sortie furent faits prisonniers après avoir parcouru quelques mètres dans le bois de Marchandise.
La sortie des autres fut suspendue par le lieutenant Nokin car les STUKAS continuaient leur ronde infernal au-dessus du fort.
Le commandant fit détruire tous les documents confidentiels (cartes, codes, cryptographe), le moteur de réserve. Il conserva le journal de campagne du fort. Celui-ci sera saisi plus tard par les Allemands et ne sera pas retrouvé après la guerre. Il organisa ensuite la défense de ce qui restait du fort avec les 25 braves qui avaient choisi de rester avec lui.
Pendant ce temps, les pionniers allemands se glissèrent dans les fossés, s'approchèrent de la poterne d'escarpe dont la grille n'était pas verrouillée et placèrent une forte charge explosive contre la porte du sas d'entrée. A 12 h 30, un e formidable explosion ravagea l'entrée du fort, provoquant la rupture du courant et un début d'incendie. La charge explosa au-dessus d'un caniveau d'aération: l'onde de choc se propagea d'une part par la galerie centrale et de l'autre par le système aération. Le commandant qui se trouvait dans le local des centraux téléphoniques reçut, en un très court espace de temps, deux chocs d'une très grande violence. Cette succession de compressions suivies de brutales décompressions lui fut fatale. Son corps ne portait aucune blessure, hormis une ecchymose à la pommette. Il ne s'est pas suicidé, comme le bruit courut, répandu par les Allemands et repris par certains Belges qui interprétèrent erronément sa phrase:
« Me rendre? Jamais ! » inscrite aujourd'hui au fronton du monument du fort de Boncelles.
L'adjudant René Hurlet fut tué par la même onde de choc alors qu'il traversait le couloir central. Presque tous les autres hommes furent plus ou moins grièvement blessés ou brûlés. Le soldat Joassin, blessé, fut abattu par un allemand dont il ne comprenait pas les ordres.
Cet incident malheureux contrastait avec la correction dont les troupes ennemies firent généralement preuve , s'empressant de soigner les blessés et brûlés. Elles tinrent à rendre hommage au commandant Charlier et escortèrent son cercueil, porté par six soldats de la garnison jusqu'au cimetière militaire de Boncelles.
Le fort de Boncelles n'a pas hissé le drapeau blanc de la reddition. Il fut le seul fort de la Position Fortifiée de Liège à être emporté de vive force..


Source:
Article de M. Viatour paru dans "Jours de guerre" aux Editions du Crédit Communal de Belgique 1994
Crédits photos:
"Charlier" dans "20 Héros de chez nous", Editions JM. Colet
"Boncelles" Bundesarchiv Koblenz 127,382-28
 
 
Note: 5
(1 note)
Ecrit par: prosper, Le: 28/05/11


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