A la mémoire du Lieutenant Gilbert Lagneau

Mort pour la patrie le 26 août 1944 à l’âge de 27 ans





Le récit que vous allez lire, est le témoignage orale et écrit de M. Joseph Desmont. Il m’a été transmis par le fils de celui-ci et c’est avec son aimable autorisation que je me permets de le mettre en ligne. Le texte en a été simplement remanié par mes soins.
Je vous en souhaite une très bonne lecture.



Le lieutenant Gilbert Lagneau est né à Dergneau le 27 avril 1917, sous-lieutenant de l’Armée Belge (service actif) il a participé à la ‘’campagne des 18 jours‘’, fait prisonnier, il s’évade et rentre chez ses parents en se cachant du nouvel occupant. Son frère Emile Lagneau militaire de l’active également est déjà dans la famille depuis quelques jours. Heureux les deux frères se retrouvent, et se promettent de réagir contre l’envahisseur. Tous les deux vont à la recherche d’un autre militaire habitant Anvaing, (dans la région de Tournai) et également militaire de l’active du nom de Jules François (alias Jules du Moufflu). A partir de ces trois retrouvailles, les choses vont vite, il faut recruter partout, en prenant toutes les sécurités. Ce petit préambule ne sert qu’à situer le contexte dans lequel se trouve Gilbert Lagneau et ses compagnons après la capitulation de l’Armée Belge en date du 28 mai 1940. Transposons-nous maintenant en 1944, et plus précisément quelques jours avant la mort tragique de Gilbert Lagneau, héros de l’A.S. (Armée Secrète) Zone I, secteur A, refuge A 30. Refuge dont il assuma le commandement. En effet, les sabotages allant bon train, beaucoup de dénonciations commençaient à voir le jour et se firent surtout sentir dans la région, par des arrestations, des otages envoyés en Allemagne etc…
Les hommes de l’A.S suivaient depuis tout un temps un jeune homme de Frasnes (village situé non loin de Tournai), qui un jour circulait en vélo, un autre jour à pied, tout en se dissimulant pour repérer plus facilement les personnes qui pouvaient être susceptibles d’appartenir à un réseau de résistance. Ce jeune homme semblait bien renseigné. Après chaque parcours de repérage, cette personne se présentait pratiquement journellement à la Kommandantur de Frasnes. Rencontrant très souvent une dame réquisitionnée par les allemands pour l’entretien des locaux, il lui parlait et souvent il ajoutait, en criant bien fort : ‘’ je commence à en avoir assez de ces cons, ils me convoquent toujours et je n’ai rien fait ‘’ Ensuite il frappait à la porte du commandant, responsable des lieux, dans le bureau duquel travaillaient deux rexistes. (Deux ‘’noirs’’ comme on les appelait). Cette dame qui avait remarqué qu’un esprit de camaraderie s’était installé entre les allemands et le jeune homme, avertit des membres de la résistance de Frasnes dont elle faisait partie. Notamment Benoni Dekens, adjoint de Gilbert pour une partie de Frasnes et grand ami de ce dernier. Après maintes filatures rapides par des agents différents, afin d’éviter le repérage, il s’avère immédiatement que les endroits ou passe le jeune homme, dans les jours qui suivent, une ou plusieurs rafles sont organisées par la Gestapo et différentes personnes sont faites prisonnières, certaines partent pour Frasnes, d’autres pour la prison de Tournai, et malheureusement aussi pour l’Allemagne
Gilbert Lagneau a maintenant un ordre formel à exécuter. Durant une nuit il réunit au Q.G – lequel se trouve au domicile de Joseph Desmont - Joseph, son frère Emile, Jules et René.
Ils descendent dans la cave qui sert au papa de Joseph d’endroit pour hiverner les betteraves, puis explique la situation déjà connue de certains et les ordres qu’il a reçu. Tous décident que l’ordre doit être exécuté au plus vite afin de sauver des vies humaines.
Une question se pose ‘’ Qui va faire le boulot ‘’ ?? Unanimement ils décident que ce seront les deux russes, déserteurs de l’armée allemande, lesquels font partie de groupe de l’A.S secteur d’Anvaing.

Ces deux résistants ont une particularité : Jamais de coup de feu ou très peu, leur arme redoutable étant le poignard (qu’ils aiguisaient pratiquement journellement) L’un s’appelait P.Sinenko.(dit Ernest) l’autre I.Sirik (dit Léon). Durant la nuit, l’ordre est donné à René Quiévreux d’aller chez Léon Van Welde, à 800 m du lieu de la réunion et d’inviter Léon et les deux russes à se présenter directement à Gilbert au QG (Léon et son épouse Flore font également partie du réseau, Léon étant également secrétaire communal faisant fonction. Après avoir reçu les explications et les ordres, Léon et les Russes vont se reposer et vers 6h00 - 6h 30, les russes partent se poster car s’ils savaient que le jeune homme arrivait très souvent par le chemin d’Ellignies, donnant directement sur la route (N 50 actuellement), mais donnant également et surtout, en face du bois du château d’Anvaing. Le jeune homme arrive. Tout de suite il est dirigé par Léon et Ernest (les deux Russes) vers le bois, mais il se met à hurler. Quelques instant plus tard, c’est le silence…………….Le ‘’mouchard’’ ne sévira plus……..

Les allemands, de garde au château, ayant entendus les hurlements, se sont précipités et ont capturés et emmenés les deux résistants à la Feldgendarmerie de Frasnes. Un résistant qui avait surveillé les faits à distance, est allé, après le départ des allemands et des deux Russes arrêtés, récupérer un carnet appartenant au jeune homme. A chaque page, l’on retrouva des noms de personnes et le dessin d’un petit cochon en regard de certains noms. Le dessin signifiant que la personne était suspecte et devait être arrêtée.

Les deux Résistants ont été battus, frappés à coups de crosse, à coups de pieds, pendus par les pieds à la rampe métallique d’un escalier. A chaque passage d’un Allemand, ils recevaient une bastonnade d’une incroyable brutalité.

Les Allemands décident de les transférer à la prison de Tournai, située Boulevard Léopold. Le transfert est prévu pour le 10 août 1944 vers 10h30 du matin. Une fois encore, la dame de ménage va jouer un rôle important. Elle renseigne le transfert imminent à un résistant de Frasnes, Benoni Dekens, lequel met Gilbert Lagneau au courant.
Le temps presse, nouvelle réunion dans la cave, et une décision est prise: il faut agir très vite pour libérer les deux résistants Russes. Vu la rapidité de l’action, laquelle devait se faire le lendemain, de bouche à oreille, le groupe, presque complet est averti. Gilbert Lagneau a réunit : Emile Lagneau, Jules François, Joseph Desmont, René Quiévreux, Bénoni Dekens, Gérard Dogimont, René Lefèvre, Léon Deboskre, Fernand Lagneau et Maurice Lagneau. Ce sont ces hommes qui devront agir.





Une femme est également du nombre. Gabrielle François, la sœur de Jules, qui avait reçu comme mission de se tenir, avec son vélo, sur la route de Frasnes à Lessines. Elle devait traverser ladite route plusieurs fois de gauche à droite et inversement. Ce sera le signal signifiant qu’elle avait vu les deux Russes dans le camion. Gabrielle, une fois sa mission réussie, devait disparaître le plus vite possible.

Les résistants avaient rendez-vous près la ferme Créteur à la limite de Montroeul et d’Hacquegnies. De la ferme, par des sentiers, des fossés, en rampant, en courant, tout le monde était en place pour 9h10.

Vers 10h25, Gabrielle aperçoit un camion venant de Frasnes, elle voit les deux russes qui la reconnaissent. Ils se doutent et savent qu’ils sont attendus par leurs frères d’armes.
Le camion arrive à la hauteur de la gare du vicinal d’Hacquegnies, les résistants tirent dans tous les sens, le convoyeur est tué sur le coup, le chauffeur arrête son camion et saute en mitraillant, il est également abattu. Les deux résistants Russes, dont les mains étaient entravées derrière le dos, voyant l’allemand qui se trouvait avec eux à l’arrière, pointer sa mitraillette par une ouverture de la bâche du camion pour se défendre et tirer, le projette à terre à coup de pieds, quelques coups ont cependant été tirés de cet orifice. Les russes ont fait tomber l’allemand du camion et s’enfuit, mais il est blessé assez fortement et décède quelques jours plus tard. Le camion est hors d’usage.

Les Russes, connaissant bien la région, courent dans les champs, quelques résistants les suivent et les libèrent de leurs liens.

Chacun retourne par ses propres moyens vers la ferme Créteur, mais une fois que tout le monde est revenu dans les environs de la ferme, l’on constate que Gérard Dogimont, âgé de 19 ans manque à l’appel.





Très vite Jules François va trouver sa sœur Gabrielle, lui raconte, et lui demande de refaire la route et de prendre la chaussé de Tournai, puis de revenir par Forest comme si elle se promenait. Arrivée au carrefour de la Longue Saule, des gens cachés derrière une haie lui crient de ne pas aller plus loin car les allemands sont là et qu’un résistant avait été tué. Gabrielle vient mettre Jules au courant et celui-ci annonce la triste réalité à ses chefs et frères d’armes. Malgré la réussite de l’opération, c’est la désolation la plus totale dans le groupe.
Les principaux responsables se retrouvent, la nuit, au QG chez Joseph. Tous sont en pleurs et pourtant il faut continuer.

Différents sabotages sont organisés, et préparés au QG. Le QG n’était connu que des chefs, de Gabrielle François, très active dans la préparation des armes et des explosifs, et de quelques résistants irréprochables triés sur le volet par Gilbert Lagneau.


A force de puiser dans les explosifs du QG, il fallait aller dans les réserves, soit à Frasnes, Dergneau, Saint Sauveur, Forest, Hacquegnies, Montroeul-au-Bois, au Couvent des Pères Oblat de Velaines etc…. Le 26 août 1944, au vu du manque assez important de munitions et surtout d’explosifs - il fallait à tout prix faire sauter les ponts, les rails, les locomotives, les voies de tram, les principales lignes téléphoniques – une décision est prise.

Gilbert - connaissant un dépôt assez bien achalandé - partit en fin de matinée du 26 chez Benoni à Frasnes, et dans le courant de l’après midi, tous les deux chargés d’explosifs, prennent la direction de Hacquegnies.
Ils arrivent à la ferme Créteur à Montroeul-au-bois, rencontre le fermier qui était au courant de leurs activités, et celui-ci les aide à cacher leur chargement, lequel devait être acheminé dans la nuit au QG. Dès la tombée de la nuit, c’est le départ (à vélo), s’arrêtant de temps en temps pour discuter des actes qu’ils allaient réaliser. Ils arrivent au bout d’un sentier, arrivent sur la route menant à gauche vers Montroeul, et à droite vers la drève du château d’Anvaing. Malheureusement, après avoir fait quelques centaines de mètres et après deux virages assez serrés, deux gendarmes allemands, mitraillettes pointées, se dressent devant eux. Les allemands demandent leurs papiers et comme, si tous les deux s’étaient donnés le mot, l’un comme l’autre, jettent leur vélo dans les jambes des allemands, donnent un coup de poing et se mettent à courir dans deux directions différentes.

Le temps de se ressaisir, les allemands tirent dans toutes les directions. Ils n’aperçoivent plus qu’un seul homme, lequel coure en zigzaguant dans la plaine du Caillois. Un des deux Allemands coure, prend appui sur un tombereau se trouvant à l’entrée d’un champ, tire à plusieurs reprises. Gilbert titube, se relève deux fois, arrive en bordure du champ, tombe à nouveau..
Les allemands courent dans sa direction, le retrouvent dans un fossé, il vient d’être atteint par une balle explosive qui lui a emporté la quasi totalité du bras droit lequel ne tient plus qu’à un lambeau de chair. Le fermier de la ferme de Rochard voit tout, il est à 50m de Gilbert qui gît dans le fossé. Il ne peut approcher sous peine d’attirer les tirs sur lui. Les allemands rigolent. Gilbert meurt exsangue. A plus ou moins trois cents mètres à vol d’oiseau, une seconde personne a assisté à la scène. Elle a entendu les premiers tirs, a vu un homme courir, ensuite tomber deux fois, et les allemands qui couraient dans sa direction. C’était Madame Marguerite Wannez, épouse d’Alexandre Bauffe (dit le Chareux, boucher à Montroeul). Marguerite, cousine germaine de Joseph Desmont, faisait également partie du réseau de résistance. Continuant à regarder, cachée derrière un muret, elle aperçoit les allemands qui remontent sur le champ, trainant Gilbert par les pieds, et au même moment elle remarque qu’un camion arrive en provenance de la drève du château, et voit que la personne, dont elle se doute du décès, est jetée, les pieds en avant dans le camion. Deux soldats mettent les vélos dans le camion, lequel, prenant la direction de Montroeul, passe devant Marguerite, toujours tapie derrière le mur, et avec stupéfaction reconnait la tête pendante à l’arrière du camion. C’est Gilbert Lagneau.

Benoni, impuissant, avait réussit à s’enfouir en contournant la haie de la prairie et n’étant plus visible des allemands, ceux-ci ne l’avaient pas poursuivi, ils se sont occupés de Gilbert, cible plus facile à atteindre. Cependant, très courageusement mais en rampant, il revint sur les lieux et vit que l’on jetait son ami et chef, tel un trophée de chasse dans le camion.


A présent il se retrouve seul dans un désarroi indescriptible, pleurant à chaudes larmes, traversant champs et prairies, ne prenant plus de précautions, il parcourt plus de deux km pour arriver au QG. En arrivant au QG, Benoni mets les Résistants présents au courant de ce qui vient de se passer. C’est la consternation. Entretemps Marguerite Wannez, qui a également été témoin de la tragédie, arrive et confirme la triste nouvelle. Ils apprennent par l’entremise du ‘’Maïeur’’ (le maire de la commune) que le corps de Gilbert Lagneau a été déposé – plutôt jeté comme une bête – à la salle communale. Les Résistants, malgré leur chagrin, décident toutefois d’agir. Ils vont aller ‘’voler’’ le corps de leur chef afin de lui donner une sépulture décente. Marguerite étant d’accord pour venir le lendemain matin avec une charrette, tout le dispositif est mis en place. Il ne faut pas que les Allemands viennent à se douter de quoi que ce soit. Dès cinq heures, le lendemain matin, tous sont au post et l’opération est parfaitement menée. Tout ce passe comme prévu. Jules et Emile sautent le mur, cassent une vitre, entrent dans la pièce, enveloppent le corps de Gilbert dans une couverture, ressortent de la pièce et le passe aux hommes qui attendent de l’autre côté du mur. Le trajet jusqu’à la maison de madame Ledent, dont le mari est prisonnier de guerre en Allemagne, et laquelle est de connivence, ce passe sans problèmes. Le corps de Gilbert y est déposé dans l’attente de pouvoir l’inhumer dignement. Le soir, les cercueils – un en zinc, l’autre en bois - sont prêts. Des résistants les transportent sur leur vélo, pour arriver dans la nuit à la maison Ledent à Forest. Lorsqu’ils arrivent, le corps de Gilbert est lavé et présentable. Il est habillé et enroulé dans le drapeau belge, l’aumônier : l’Abbé Pollet, natif de Forest, professeur au Collège de Leuze bénit le corps, le menuisier et le plombier sont arrivés également, pour souder et fermer les deux cercueils. René Quiévreux demande à ses chefs pour pouvoir prendre une ou deux photos avant de souder le cercueil de zinc. Ce qui lui est accordé.





Dehors, attendent une quinzaine de résistants tous en armes et près à tirer le cas échant.
Il est minuit trente, le corps sort de chez Madame Ledent, les résistants portent leur chef sur les épaules, ils empruntent la route communale de Forest et juste avant d’arriver à l’école communale de Forest un résistant, parti en éclaireur, vient signaler qu’une patrouille allemande vient à leur rencontre. Aussitôt, changement de direction, par les champs, les prairies, la tâche devient compliquée, il faut enjamber des clôtures, sauter des fossés, retraverser une route sans se faire repérer.


A 4h10 Gilbert est déposé dans un caveau d’attente dans le cimetière de Cordes en attendant les funérailles officielles dans son village de Dergneau. Après un long moment de recueillement, l’Abbé Pollet bénit une seconde fois le corps de Gilbert.Lagneaux.

Un Résistant courageux, un de plus, vient de tomber pour la Liberté.


Epilogue :
Gilbert, j’ai fait ce récit en ton honneur : Enfant, j’étais, sur tes genoux et dans tes bras j’ai été, tu as donné ta vie pour nous : Gilbert, merci pour tout
Jacques Desmont










Source: récit de Jacques Desmont

Crédit photos: Jacques Desmont et archives Armée Secrète.