La Libération du port d'Anvers

Le port ! Un enjeu essentiel

L'enjeu essentiel, en ce mois de septembre 1944, c'était le port d'Anvers. Les Alliés étaient bien décidés à le prendre. Les Allemands étaient bien décidés à le garder, ou le rendre inutilisable. Il fut pris, et intact, et ce fut un résultat, du point de vue belge, deux fois extraordinaire: parce que la Résistance fut à l'origine de cet exploit et parce que l'exploit fut réussi grâce à une coopération, aussi féconde que rare, mais cette fois parfaite, entre les différents mouvements de Résistance.
Anvers était donc un des objectifs numéro un des Alliés. En février 1944, Philippe de Liedekerke fut parachuté en Belgique avec mission de coordonner l'action des mouvements de résistance locaux afin de préserver le port. Dès 1943, le capitaine de marine Eugène Colson, du Mouvement National Royaliste, très au fait des caractéristiques du port et connaissant le plan de destruction établi par les Allemands, avait recruté des spécialistes: pilotes, marins, débardeurs. Une coordination réunit des représentants de la '' Witte Brigade '' ( Armée Blanche ), du mouvement National Royaliste, du Front de l'Indépendance, de l'Armée Secrète, du Groupe G, tous acceptant de se mettre aux ordres d'un chef commun, le lieutenant du génie Urbain Reniers, qui commandait l'Armée Secrète de la région d'Anvers.
Le lieutenant du génie, Robert Vekemans, ingénieur des ponts et chaussées, joua lui aussi un rôle important à la tête de cette opération décisive.


Lieutenant R. Vekemans



L'homme à la Gabardine

Le 31 août 1944, la Résistance a saboté les nœuds ferroviaires de Boom et de Herentals, placé des mines antichars sur l'itinéraire du charroi allemand et semé sur les routes menant vers Anvers des clous à quatre pointes. Le 1ier septembre, un message de Londres demande le déclenchement des opérations de harcèlement . Les résistants sont aux aguets. Les Anglais arrivent. Il faudrait qu'ils soient là le plus vite possible. La rapidité est indispensable, ainsi que la surprise, pour que les Allemands n'aient pas le temps de mettre à exécution leur plan de destruction. Déjà, ils ont désigné cinq pilotes pour déhaler les bateaux qu'ils veulent faire sauter dans la passe de l'Escaut. S'ils s'accrochent à la position, le port sera mis hors d'usage.
Le 3 septembre 1944, dans l'après midi, les premiers éléments de la 11ème Division blindée britannique sont à Alost, Ils vont prendre à droite, pour rejoindre la grand route d'Anvers. Or, à Boom, douze kilomètres avant la Métropole, les Allemands ont disposé des postes d'observations et miné les ponts sur la rivière Rupel et sur le canal de Willebroek à Bruxelles. Si les Anglais viennent par là, les ponts sauteront et l'ennemi, alerté, organisera sa défense. ( Voir carte ci-dessous ).
Vekemans est allé inspecter les lieux. Il a compris le danger. Il a constaté, en revanche, que la chaussée de Termonde (Dendermonde ) est à l'abri des regards allemands.

Le 4, vers 9 heures, au carrefour de la grand route Bruxelles-Anvers et de la chaussée de Termonde, à hauteur du sinistre fort de Breendonk, surgissent les blindés de tête du 3ième Bataillon du Royal Tank Regiment. Un homme vêtu d'une gabardine est au milieu du carrefour, qui agite des bras. Les Anglais n'ont pas de temps à perdre, leur consigne est d'être à Anvers au plus tôt. Le premier char passe en grondant sans prendre garde à cet olibrius. Puis le deuxième, le troisième….Le quatrième, enfin, s'arrête. Il transporte le major John Dunlop, qui interpelle l'homme à la gabardine, l'olibrius, en le tenant en respect avec son revolver.
Ce civil, c'est Vekemans. Celui-ci, et ce n'est pas le moins extraordinaire, réussit à se faire écouter de l'officier anglais. Le major Dunlop, par radio, arrête les premiers chars de la colonne, 500 mètres avant les ponts, et leur fait faire demi-tour.
Le major obtient de son supérieur l'autorisation de modifier la manœuvre et le détachement Dunlop emboîte le pas à Vekemans. Il passe le canal de Willebroek, surgit devant le pont de bois sur le Rupel, que la garde allemande vient de quitter.
Vekemans, aidé de deux civils trouvés sur place, arrache les cordons de mise à feu des mines posées sous le pont. La colonne blindée passe le Rupel et tombe sur le dos des Allemands, postés aux ponts principaux, qui n'ont pas le temps de se battre. On désamorce les charges. Le gros de la troupe n'a plus qu'a foncer sur Anvers!

Le long de la route que parcourent les Anglais, les unités de la Résistance aident à réduire l'opposition et à enlever les points d'appui. Les Milices Patriotiques, la Witte Brigade, des groupes de l'A.S. et du M.N.R. nettoient la ville et le port. Les Alliés s'emparent des remorqueurs, saisissent les écluses. Les combats dureront encore plusieurs jours, au cours desquels 6000 Allemands seront capturés -- dont le général commandant la garnison -- mais, dès le premier soir, Anvers est sauvé.

Quarante kilomètres de quais intacts tombaient aux mains des Alliés. Plusieurs semaines encore allaient s'écouler avant que les installations puissent réellement servir. Néanmoins, cette bataille d'Anvers fut une des victoires les plus importantes dans l'histoire de la reconquête. '' Ceci raccourcira la guerre des plusieurs mois '', dit, en parcourant les quais et les docks, le major général Erskine, haut délégué du général Eisenhower en Belgique.


La carte des lieux


1. Grand pont sur le Rupel à Boom

2. Pont routier sur le canal Bruxelles--Willebroek ( sera détruit )

3. Poste d'observation allemand

4. Viaduc sur la voie ferrée Malines-Terneuzen

5. La flèche indique le chemin suivi par l'avant garde sous la conduite de Robert Vekemans

6. Ponton de Willebroek-Centre, ni gardé, ni miné

7. Chemin en cendrée le long du canal

8. Vieux pont à péage de Boom

9. Limite de l'horizon des guetteurs allemands


Source bibliographique: " 1944 " par Pierre Stephany, Editions Le Livre à Bruxelles, 1994.
Sources photographiques: "Jours de Guerre" Editions du Crédit Communal de Belgique, 1994.