Jacques Philippart, tombé dans la Bataille d'Angleterre le 25 août 1940

Jacques Philipart naquit le 11 janvier 1909 à Mont-Saint-Guibert, en Brabant wallon.
Très jeune, il fut séparé de ses parents. Au moment de se marier, il sollicite de ses chefs un supplément de trente jours de congé en demi-solde, pour les passer chez ses parents "qu'il n'a plus vus depuis son enfance et qui habitent Ayancik, en Turquie d'Asie ".
Il fait ses études moyennes à l'Institut Michot-Montgenast et entre ensuite à l'Ecole polytechnique de l'Université libre de Bruxelles.


Une vocation d'aviateur

Après avoir passé avec succès ses deux premières années, il entend l'appel d'une autre vocation, abandonne ses études au cours de la troisième année et s'engage à l'Aviation militaire, car il a le goût et la passion du vol. Pour son futur avancement d'officier, il reçoit, comme candidat-ingénieur, une bonification d'ancienneté de deux ans.

En avril 1932, il est nommé sergent-aviateur et suit les cours de l'Ecole de pilotage de Wevelgem. Un camarade de son cours raconte qu'ils faisaient des simulacres de combats acrobatiques l'un contre l'autre, notamment en Bréguet 19, avion qui n'était guère indiqué pour ce genre d'exercice. Aussi, ils s'écartaient soigneusement de l'Ecole pour ces jeux interdits.

Il acquiert rapidement une excellente réputation et à Gossoncourt, son commandant en parlait comme d'un pilote exceptionnel, qui atterrissait au moteur, en ligne de vol, alors qu'à l'époque on apprenait à toucher le sol avec la queue basse et le moteur au ralenti.

"J'ai personnellement volé avec Jacques Philippart en juin 1935, sur Fairey-Hispano, à la 9e escadrille du 1er régiment d'Aéronautique, Spécialisée dans les vols de nuit. Nous étions à l'époque de jeunes stagiaires, fraîchement brevetés d'état-major, que l'on désirait familiariser avec l'aviation. Il m'a particulièrement impressionné en me faisant effectuer mes premiers loopings et tonneaux.
C'était un garçon charmant, d'une excellente éducation, parfaitement à l'aise dans tous les milieux.


Ambassadeur des ailes belges

Adjudant-aviateur en avril 1936, il est nommé sous-lieutenant le 26 juin de la même année.
En vue de sa nomination d'officier, ses chefs lui remettent les notes suivantes "Jugement sain et sûr, caractère ferme et décidé, éducation très soignée, tenue très correcte, apte a tous les points de vue au service aérien. Elément très allant et réfléchi. Fera un bel officier aviateur."
Ajoutons qu'il ne fait guère de différence entre le volant d'une voiture et le manche à balai d'un avion et que l'on trouve dans son dossier personnel trace de quelques démêlés avec la police de roulage.

A sa demande, il entre dans une escadrille de nuit.

Ses débuts en public remontent à juin 1934, lorsqu'il effectue une démonstration de propagande aéronautique à Gossoncourt.
En 1937, il prend part au meeting international de Zürich où il se classe premier parmi les Belges et où l'équipe dont il fait partie obtient la deuxième place du classement international.
Il vole dans l'escorte royale aérienne qui conduit le roi Léopold III au baptême de la princesse Béatrice de Hollande. A cette occasion, la reine Wilhelmine lui décerne la croix de chevalier de l'Ordre d'Orange-Nassau.
Au cours des fêtes nationales belges de 1938 et de 1939, il exécute la nuit, au-dessus de la place Poelaert à Bruxelles des exercices acrobatiques qui impressionnent vivement la foule.
En juillet 1939, il se distingue de façon remarquable au grand meeting international d'Evere. Sa démonstration sur un petit avion d'école Stampe et Vertongen, construit en Belgique, consacre sa réputation. Il effectue notamment une spectaculaire montée en chandelle jusqu'à l'arrêt de l'avion à la limite de la puissance du moteur, et puis, le laissant s'abattre, il le remet en ligne de vol.

En octobre 1939, pendant la mobilisation de l'Armée, il est choisi par le commandant de l'Aviation militaire pour étudier les méthodes anglaises de pilotage des avions modernes à l'Ecole de Wittering. La durée habituelle du stage fut pour lui écourtée. A son retour et jusqu'à l'ouverture des hostilités, il fut chargé de former aux méthodes anglaises les pilotes des différentes bases.

La guerre
J. Philippart

La guerre le trouve prêt à remplir tous les devoirs que le pays attendait de lui.
Le 10 mai1940, il sauve son avion sous le bombardement de l'aérodrome d'Evere et , au cours de la courte campagne, il effectue une mission comportant le survol de 400 kilomètres de territoire dominé par l'aviation ennemie.
Peu après il est envoyé à Caen, puis à Tours pour organiser les écoles belges de pilotage et est désigné comme conseiller du commandant de l'aviation belge en France, le général aviateur Legros.
Mais bientôt la France cesse le combat et les autorités belges croient devoir faire de même. Jacques Philippart ne peut accepter cette idée, il se dirige vers Bayonne et de là réussit à passer en Angleterre.
Comme il n'y existe aucun noyau d'aviation belge, il s'engage comme pilote dans la Royal Air Force où, étant donné son séjour en 1939 à la Central Flying School, il est accepté dès le 10 juillet.
Après un bref passage de contrôle à l'Ecole de pilotage, il est envoyé en escadrille et remporte le 18 août sa première victoire.






La Bataille d'Angleterre

Les combats que nous allons raconter sont extraits du livre du colonel aviateur Rens, les Belges dans la bataille d'Angleterre.

Premières victoires

Sur les cent vingt-quatre aviateurs et candidats belges regroupés en Angleterre avant août 1940, vingt neuf seulement étaient opérationnels. Quinze pilotes belges furent immédiatement répartis entre les escadrilles de Hurricanes du " Fighter Command " (chasse) et quatorze autres dans le " Coastal Command " (défense côtière).
Durant les trois mois de la bataille d'Angleterre, les aviateurs belges inscrivirent 21 victoires confirmées et perdirent six pilotes.
C'est parmi ces vingt-neuf vaillants que combattit et tomba Jacques Philippart.
Il n'y avait pas de gouvernement belge à Londres. C'est notre ambassadeur, le baron Cartier de Marchienne, son attaché de l'air, le lieutenant-colonel aviateur Wouters et son adjoint, le capitaine De Somer, qui négocièrent, dès le 25 juin, avec l'Air Ministry, l'intervention de nos aviateurs.
Les Britanniques demandaient qu'on leur envoie d'urgence les pilotes formés qui pourraient être employés à combattre après une ou deux semaines d'entraînement dans les O.T.U. (Unités d'entraînement opérationnelles)
A peine arrivés, les aviateurs belges sont lâchés sur Hurricanes, simulent des attaques, s'entraînent au tir, s'habituent aux formations tactiques, à la procédure de transmission de la RAF, et surtout au jargon simplifié qui doit permettre des réactions rapides.
Les Hurricanes Mark I, dont l'aviation belge possédait quelques exemplaires, sont des chasseurs monoplaces armés de huit mitrailleuses Browning, volant à une vitesse de 335 milles à l'heure ( 535 km/h ), tandis que le meilleur chasseur britannique le Spitfire, atteint 366 milles à l'heure.
Du côté allemand, les chasseurs monoplaces Messerschmidt 109 armés de canons et de mitrailleuses atteignent 350 milles et sont donc supérieurs aux Hurricanes des Belges. Il en est de même des Messerschmidt 110, biplaces bimoteurs, armés de deux canons et de quatre mitrailleuses qui escortent les bombardiers à grande distance et peuvent atteindre 365 km/h, mais sont moins maniables.
Fin juillet, quinze des seize pilotes de chasse belges sont dispersés dans sept escadrilles de Hurricanes du Fighter Command. Philippart est affecté avec Buchin à l'escadrille 213 du 10° Groupe qui défend la partie sud-ouest de l'Angleterre. La phase préliminaire de la bataille d'Angleterre est déjà commencée. Les adversaires se tâtent et cherchent leurs points faibles.

A partir du 10 juillet, la Luftwaffe prend la mesure de la RAF. Elle cherche à provoquer la chasse anglaise dans le but de l'user prématurément.
Le 11 août, un raid de bombardiers qui a pour cible Portland se heurte à l'escadrille 213 dont font partie Philippart et Buchin.

Le combat

Buchin, de la section rouge menée par Philippart, aperçoit la formation de bombardiers et l'évalue à plus de 40 appareils escortés de chasseurs Me 109.
Dans leur radio les Allemands s'écrient : "Achtung, Spifeuer". Ce ne sont pas des Spitfires, mais des Hurricanes menés par des aviateurs de cette Belgique qu'ils croyaient avoir rayé de la carte
Buchin jette un rapide coup d'œil à son altimètre : 13.000 pieds ( 4.000 mètres ).

Red I de Red 2, Bandits à 10 heures ( chef de section, votre ailier vous appelle, avions ennemis, à 60° à gauche de notre axe de vol)

-OK, allons-y.

Chacun des chasseurs choisit sa cible et les Hurricanes se lancent dans la formation ennemie.
Les courtes flammes rouges des mitrailleuses illuminent les ailes. Le bombardier allemand qui dirige la formation glisse sur l'aile, amorce un piqué sur sa cible. Philippart se laisse tomber à sa suite et se place derrière lui. Il appuie sur la gâchette. Les balles viennent frapper l'Allemand au moment où il ouvre ses volets de piqué. Sa mitrailleuse arrière crache continuellement. En hurlant, le Hurricane dépasse le bombardier au moment où celui-ci se redresse. Philippart tire un peu sur son manche à balai. Le Hurricane ne semble pas touché. Il file à toute vitesse au ras de l'eau, son ombre courant sur les lames. Après un virage sec, le Belge revient comme un bolide sur sa cible. L'Allemand tire toujours tant qu'il peut, mais maintenant que le chasseur le prend de flanc, sa position est plus difficile. Une épaisse fumée noire s'échappe de son moteur tribord. Une immense gerbe d'eau ! Il a touché la mer et s'engloutit en quelques secondes.
A ce moment, Philippart se rend compte qu'un filet d'huile se glisse dans le cockpit. Le glycol parsème son pare-brise, risque de l'aveugler, s'infiltre déjà à l'intérieur de l'habitacle. L'appareil a été touché dans son réservoir d'huile. Il faut atterrir.
- Red section de Red leader. Je rentre à la base.

A terre, il découvrira que son appareil a reçu sept balles dans le réservoir d'huile, le moteur et les ailes
Buchin abat également un bombardier.

Au coeur de la mêlée

Le 13 août, dans l'après-midi, se déclenche enfin la véritable bataille d'Angleterre. Le fameux " jour des aigles " est arrivé. Plusieurs centaines d'avions mènent simultanément cinq ou six opérations majeures. De fortes escortes de chasseurs entourent les escadres de bombardement.

Aux premières heures du 15 août, mille Allemands attaquent simultanément les aérodromes du sud et du sud-est de l'Angleterre.
Entre 17 h et 17 h 20, les radars de la côte sud ont détecté l'approche de sept formations allemandes supplémentaires. Il doit y avoir entre 200 et 300 appareils qui s'approchent des côtes du Hampshire et du Dorset.
Au total, 150 Spitfires et Hurricanes décolleront pendant ce raid pour faire face à l'adversaire. Huit escadrilles sont en l'air et livrent de furieux combats au-dessus de Portsmouth et de Portland.

L'escadrille 213 est de la partie. Silencieux, les pilotes écoutent le contrôleur donner au commandant d'escadrille le cap et altitude où il trouvera à s'occuper et vers où s'approchent les bandits qu'il leur destine.

Bandits au-dessus de Portland Bill à 20.000 pieds.
-Yellow leader, 0K.
-Yellow leader, c'est le lieutenant Philippart qui mène à l'attaque des coéquipiers, dont Buchin. Et d'un instant à l'autre et c'est la folle mêlée.
La 213 tombe sur une centaine d'avions adverses. Il y là des Junkers 88, des Junkers 87, des Messerschmidt 109, des Messerschmidt 110, pour tous les goûts.

-Yellow section. Huit 110, à 12 heures, au-dessous, on y va.

Philippart pousse le stick en avant. Il plonge comme un bolide sur le dernier Me 110 de la formation et l'ajuste dans son collimateur. Il lâche une courte rafale. L'Allemand décroche brutalement ; puis se mets en vrille, en descendant vers la mer.

Le livre du colonel Rens raconte la suite des combats de Jacques Philippart et de ses compagnons mais se serait trop long à relater ici.
Le 25 août 1940, après une série d'opérations préliminaires destinées à fatiguer la défense, la Luftwaffe entreprend un raid massif entre 4 et 5 heures de l'après-midi.
Sur tous les aérodromes des 10° et 11° groupes, les pilotes se ruent vers leurs appareils.
Deux escadrilles du 10° groupe sont mises les premières en l'air et reçoivent l'ordre d'établir le contact sans attendre, afin de freiner et si possible, déjà déranger la formation ennemie. C'est ainsi que Philippart se retrouve au combat avec la 213.
A un contre dix, les chasseurs de la R.A.F. vont attaquer sans hésitation. Alors s'engage une lutte qui frise le suicide pour la défense.
Plusieurs fois, un avion aux cocardes tricolores s'abat dans la mer et l'un d'eux est celui de Philippart.
Il vient d'encadrer un appareil ennemi, qui encaisse, qui commence à rouler et tanguer sous les coups, quand il est pris à son tour sous les feux de l'adversaire et abattu.
Philippart se jette dans le vide. Ses camarades le voient descendre lentement sous son parachute vers les eaux de la Manche.
Des vedettes et des patrouilleurs de la Marine le chercheront longtemps, mais sans le retrouver ; une lame roulera son corps sur une plage anglaise quatre jours plus tard.
Le surlendemain, il sera porté en terre dans le petit cimetière d'Exeter.

Le Ministre Gutt, qui a fait le déplacement pour saluer le pilote à la carrière fulgurante, lit la dernière citation du Lieutenant Philippart :


Officier d'un mérite éclatant. S'est distingué sans répit par son ardeur au combat, son courage et son habilité ; pilote de grande classe, d'une bravoure exceptionnelle. Rejoint la Grande-Bretagne dès la fin des hostilités en France pour participer activement à la bataille aérienne au dessus de la Manche et de l'Angleterre. Du 11 au 25 août 1940, remporte cinq victoires certaines. Le 25 août 1940, dans un engagement avec une formation ennemie supérieur en nombre, tombe en pleine gloire après avoir remporté une nouvelle victoire


Honneur et gloire

Le 12 janvier 1943, le Ministre de la Défense nationale lui accorda la croix de guerre de 1940 avec six palmes en bronze et une citation qui reprend en les amplifiants les termes de celle de 1940.
La croix de l'Ordre de Léopold avec palme lui fut accordée par le Régent le 16 septembre 1946.
Nul ne méritait mieux que celui qui avait tout sacrifié pour s'engager dans le combat le plus décisif de la guerre, qui était le premier Belge à y remporter une victoire aérienne et à mériter par ses succès le titre d'as des Belges dans cette glorieuse bataille.
Il fut un de ceux dont Churchill a dit :


Jamais au cours des conflits de l'humanité, autant d'hommes n'ont eu pareille dette envers un si petit nombre.



Source : Article de Gustave Rens et de Albert Crahay dans "Vingt Héros de chez nous"