Livre d'or

Par Bauwens




Le canal de Schipdonk , officiellement appelé , Dérivation de la Lys .
Le canal de Schipdonk traverse la province de Flandre orientale et l [Suite...]

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Rss Charles Mahieu, un saboteur, redoutablement actif et efficace
Rien ne dispose Charles à son aventure ni à son destin de grand résistant durant l'occupation nazie. Né en décembre 1916, à Braine le Comte ( Province de Hainaut - Belgique ), il est le fils. intelligent et prometteur. d'un industriel prospère œuvrant dans le secteur textile. Après de bonnes études de base, il acquiert une formation spécialisée dans ce domaine. Il devient alors jeune industriel, après avoir accompli dans le Génie, son service militaire, qu'il termine en qualité de sous-officier.
C'est, déjà alors, un patriote animé d'esprit civique et d'entreprise ainsi qu'un formateur et un conducteur d'hommes. D'une force et d'une carrure peu communes robuste, sportif, athlétique et dynamique, les cheveux noirs et drus, l'œil vif et malicieux, il exerce un ascendant sur ses compagnons d'armes de même que sur ses collaborateurs dans l'entreprise familiale où il se prépare à une carrière heureuse. Ces qualités l'ont déjà porté à la direction de la troupe de scouts dans laquelle il s'est engagé. attiré par la devise de ce mouvement " Servir ". Dans cette troupe, il témoigne de sa bonté et de sa charité envers les humbles et les démunis. Son désintéressement ainsi que son esprit social et humain se manifestent déjà.

Le 9 mai 1940, il rejoint. dans l'après-midi, son unité militaire. Dès l'agression nazie du lendemain, il se porte volontaire pour diriger la destruction d'un des trois ponts du canal Albert. qui n'ont pas sauté. Il prépare, sous le feu de l'ennemi, le dynamitage de celui de Lanaken-Briegden. qui explose à l'aube du 11 mai 1940. C'est un exploit militaire. S'il est cité à l'ordre du jour de l'armée, il paie son courage de sa liberté. Fait prisonnier, il est transféré en Allemagne, au Stalag XI B, où il est contraint de travailler aux usines "Hermann Goering" près de Hanovre. D'emblée, il entreprend d'en saboter la production, de retarder son achèvement et d'entraîner, dans la même voie, les autres prisonniers, travailleurs forcés. Alors, se manifestent encore, sa bravoure, sa détermination et son civisme. Mais il ne considère pas comme suffisants ces premiers sabotages de l'effort de guerre ennemi. Epris de liberté, il recherche des possibilités d'évasion pour revenir au pays. Une opportunité extraordinaire, qu'il saisit aussitôt, se présente au printemps de 1941. A l'époque, les nazis libérèrent des prisonniers d'expression flamande, dans l'espoir de les rallier à leurs vues et de réaliser ainsi une opération politique de "pan-germanîsme" servant leur propagande. Bien que s'exprimant imparfaitement en néerlandais et domicilié dans la région wallonne, il parvient à se faire passer pour un "Flamand ", né à ' S Gravenbrakel ,
( traduction néerlandaise de Braine le Comte ) affirme-t-il.

Son aplomb et son astuce réussissent, favorisés par la complicité de ses amis flamands, ainsi que par la confusion issue de cette sélection et de ce départ massif. Dès son retour en Belgique, tout en reprenant ses fonctions d'industriel, Charles recherche des possibilités et des contacts de nature à lui permettre de nuire directement à l'occupant. Pour lui. une seule attitude et un seul devoir sont possibles ; quels qu'en soient le prix et le risque, combattre l'ennemi par tous les moyens jusqu'à la victoire finale, dont il ne doute pas. C'est dans cet esprit que l'on le retrouve. La vie d'industriel et de commerçant ne l'attire plus, en cette période où les libertés et les valeurs, auxquelles il croit, sont piétinées. Il perçoit que le destin de l'humanité est mis en cause par un ennemi puissant et bien organisé mais dirigé par un fanatique orgueilleux. vaniteux, raciste et sanguinaire, qui trompe son peuple et conditionne la jeunesse à ses vues. Il faut donc reprendre les armes, non point contre les Allemands comme tels, mais contre le régime que Hitler incarne et contre les nazis qui nous oppriment. Il a bien compris leurs méthodes et leurs procédés, lors de ses premières expériences de guerre et, ensuite, en captivité, durant son travail forcé. A ses yeux, le combat doit être immédiat et total, pour ceux qui s'y engagent. L'action contre l'effort de guerre d'un ennemi qui prétend, en outre, séduire nos populations et utiliser ses forces productives, doit être directe. A ce propos, il souligne, avec l'humour et l'ironie qui le caractérisent, sa formation en matière de manipulation d'explosifs. N'a-t-il pas été sous-officier du Génie? N'est-ce pas à ce niveau que l'on connaît le mieux les techniques de destruction et leur exécution? L'occupant s'efforce d'utiliser, à son profit, nos industries et nos travailleurs. C'est cela que nous pouvons et devons empêcher à tout prix ". Et d'ajouter. porté par son enthousiasme juvénile et communicatif: " C'est possible ; il suffit de l'oser "


Cela explique pourquoi il se joint, avec foi et détermination, au printemps de 1942, à la poignée d'amis, issus de l'Université Libre de Bruxelles, qui entreprennent de créer une organisation de résistance et de sabotage. Cette organisation, dans laquelle il joue. d'emblée, un rôle éminent, devait devenir le redoutable " Groupe Général de Sabotage de Belgique ", dit " G " .
Sa détermination, sa volonté opiniâtre, sa formation, sa connaissance des armes et des explosifs ainsi que sa fiabilité, son courage tranquille et ses qualités d'entraîneur d'hommes et de chef, le portent à rechercher et à obtenir des responsabilités de plus en plus lourdes. Après avoir adjoint à la direction nationale de l'action du groupe, il remplace Henri Neuman dans cette fonction durant le second semestre 1943. Il s'y révèle non seulement un homme décidé mais aussi, un conseiller réfléchi, ainsi qu'un organisateur et un formateur remarquables. Toujours à la pointe du combat, devenu un saboteur à temps plein, il ne se contente pas de diriger de loin les actions entreprises. Il y participe directement et en exécute, seul, dans le cadre des plans et des directives d'ensemble de groupe. De plus, il contribue à leur conception, à leur préparation. de même qu'à la formation d'équipes entraînées. Aucune difficulté, aucune peine, aucun danger ne le rebute. Ignorant le découragement, dominant son tempérament prudent et surmontant l'angoisse et la peur, conscientes ou subconscientes, inhérentes à ce " métier ", il puise, dans le risque. les difficultés et les obstacles, des forces et un courage renouvelés. Et ce dynamisme rayonnant, il le communique autour de lui, prenant ainsi une large part à la formation de ce qui fut et demeure l'esprit du groupe " G ''


Dans son éloge à la mémoire de Charles Mahieu, à l'occasion de l'inauguration du mémorial qui lui est dédié à Braine le Comte en 1960, Robert Leclercq évoque une anecdote qui illustre son audace tranquille, son astuce et son humour. Voyageant en train vers Arlon et y cherchant une place, Robert Leclercq remarque, en passant dans le couloir, un compartiment " Nur fùr Wehrmacht "' réservé à l'armée allemande et à ses collaborateurs " officiels ". Quelle n'est pas sa surprise d'y découvrir Charles, la boutonnière garnie d'un énorme insigne nazi, une mallette entre les jambes contenant, comme il l'apprend ensuite, tout l'attirail du parfait saboteur et plusieurs bombes incendiaires. L'apercevant à son tour, Charles se lève, ouvre la porte et, avec une œillade, énorme et discrète, lui tend la main en criant à la cantonade : " Bonjour, mon cher collègue, comment vont les affaires ? " Et cela, sous l'œil craintif et soupçonneux des civils belges qui encombrent le couloir et à la surprise approbative de militaires allemands présents dans le compartiment. Comme Charles est pourvu de faux papiers d'identité bien imités. d'une " carte de légitimation '' de collaborateur d'une firme travaillant pour l'ennemi et d'un faux titre de congé (" Urlauberbescheinigung "), émanant de l'administration nazie et revêtu d'un cachet et de signatures apparemment authentiques, il estime courir moins de risques de la sorte, tout en voyageant confortablement. De plus, ce titre de congé prie les autorités allemandes de lui accorder libre passage... Qui aurait d'ailleurs songé à fouiller les occupants de ce compartiment réservé à l'ennemi ? Qui aurait pu se douter que l'insigne à croix gammée protège les armes mêmes destinées à lui nuire ? Cependant, dès le lendemain matin, les stocks importants d'une scierie ardennaise fabriquant des bois de mines flambent par son œuvre.

Une seconde histoire, de Charles, éclaire également son sang-froid, son imagination, son sens de l'improvisation. son courage et son humour flegmatique. C'est, à Bruxelles. en septembre 1943. Il s'est révélé nécessaire, après l'arrestation en juillet, de Richard Altenhoff, qui dirigeait le service " Matériel et Technique " du groupe, de le remplacer et d'élargir l'état-major. Il faut non seulement renouer les contacts avec des cellules isolées du Centre par d'autres arrestations et par l'application des règles de sécurité mais aussi poursuivre l'expansion des effectifs dans toutes les régions du pays. Ils décident de créer, dans ce but, une nouvelle direction nationale " Recrutement et Organisation ", dont Henri Neuman est chargé, tandis que Charles accède à la direction de l'action. Les tentatives de reprise de contacts avec des cellules ou des groupes, amputés par des arrestations, sont toujours hasardeuses. Et cela, spécialement lorsque ils soupçonnent que ces arrestations sont dues à la dénonciation d'agents " retournés " par l'ennemi, voire par l'infiltration d'indicateurs dans l'équipe. Les polices nazies connaissent bien l'intérêt de recourir à ces moyens éprouvés pour détruire les organisations de résistance. Elles savent aussi comment attirer, intimider et intéresser des auxiliaires possibles et les entraîner dans un engrenage. Elles s'y attachent et y réussissent à maintes occasions. Des précautions extrêmes sont donc nécessaires, pour préparer et réaliser les tentatives de contacts avec des cellules isolées. En vue de renouer une liaison ponctuelle avec un groupe provincial qu'ils pouvaient encore joindre par l'intermédiaire d'une " boîte aux lettres " demeurée ouverte, un rendez-vous fut fixé à un délégué de ce groupe qui s'intitule Gèo et qui de son côté, était, informé de son désir de renouer les contacts interrompus. Personne ne se connaissaient. Géo est informé d'avoir à rencontrer Jérôme (c'était alors un des noms de guerre de Neuman) à 12 heures, dans une taverne fréquentée, près de la gare du Midi. Il doit être porteur du périodique " Signal ", déposé sur sa table, ainsi que du journal quotidien de sa région. Quant à Neuman, on lui a indiqué qu'il serait muni du '' Brusseler Zeitung '' et du journal ''Le Soir'', bien en évidence. Ils pourront ainsi, se retrouver aisément dans la taverne, au jour et à l'heure fixés. Neuman avait cependant pris plusieurs précautions. Les premières sont de se trouver sur les lieux, plus d'une demi-heure avant le rendez-vous, en compagnie d'une attrayante jeune femme, sa collaboratrice et son agent de liaison, sans détenir ni le ''Brusseler Zeitung'' ni '' Le Soir''. Joignant l'utile à l'agréable, il se comporte en consommateur galant, offrant l'apéritif à une compagne désirable, avant de la convier à déjeuner. Il avait pris une précaution supplémentaire qui se révéla essentielle, celle de convenir avec Charles qu'il l'attende, armé de son Colt ( revolver ), rue du Midi, à partir de 12 heures. Bien lui en prit. Vers 11h45, sa compagne et lui remarquent l'entrée, dans la taverne, de deux personnages d'allure bizarre, cherchant une table pour s'installer près de la porte. Peu après ils voient arriver Géo, que Neuman identifie par le périodique '' Signal '' et le journal provincial, qu'il porte ostensiblement sous le bras. Ayant pris la précaution de payer les consommations, Neuman quitte sans hâte l'établissement au bras de sa compagne et en devisant avec elle, sans retenir l'attention ni de ces personnages inquiétants ni de Géo. Sa compagne rentre alors chez elle, en lui souhaitant bonne chance, sa première mission du jour étant terminée. Il rejoint Charles dans la rue du Midi toute proche, l'informe brièvement et conviens avec lui qu'il le suivrait de près. Dès que Neuman aura rejoint Géo, Mahieu est invité à les observer attentivement et à intervenir selon son inspiration, dès que Neuman portera la main à l'oreille droite. Ayant en Mahieu une confiance absolue, il appelle Géo, par téléphone d'un café voisin. Il lui enjoint de se rendre sans délai, dans la rue du Midi où il prendra contact avec lui, à l'angle voisin de la Place Rouppe. " C'est impossible ", dit-il d'abord, " vous ne me connaissez pas ". Il lui réponds que, contrairement à ce qu'il suppose, il le connaît et préfère cette formule. Il coupe la communication et l'aperçois, peu après dans la rue. Lorsqu'il l'aborde bien avant la Place Rouppe, en lui disant: " Bonjour Géo ", il rétorque " Vous êtes Jérôme et vous êtes de l' Intelligence Service ; ne tentez pas de vous défendre ou de fuir, je suis armé ". Il l'enjoint, à son tour, de ne plus bouger en le menaçant d'un browning calibre 7,65. Bien entendu, Neuman porte immédiatement la main à l'oreille droite de façon plus qu'ostensible, en s'efforçant de surmonter sa peur et de garder son sang-froid. De carrure athlétique, et affichant son énorme insigne nazi, Charles les rejoint sur le champ, les aborde, saisit vigoureusement le bras de Géo, plus âgé et de taille plus petite, en lui disant d'une voix ferme : " Gestapo'' Rentre ton arme et avance avec nous, sinon je te flingue ". Stupéfait et déconcerté, Géo remet son arme en poche et répond. en balbutiant: " Mais. il y a erreur , je collabore avec la police allemande et suis accompagné par deux collègues ". Neuman lui rétorque " Nous aussi, nous sommes suivis par des collègues armés (ce qui n'est pas vrai...). Ils s'arrangeront ensemble. Quant à toi, sois sage et prends avec nous la première rue à droite si tu tiens à ta peau ". Il obtempère en tremblant.

De cette rue, atteinte rapidement ils bifurquent dans une autre, puis dans une troisième et poussent Géo dans un petit café désert, après s'être assurés qu'ils avaient " semé " les suiveurs. L'établissement est tenu par une patronne d'aspect breughelien, trônant derrière le comptoir. Charles lui commande trois bières. La priant de les excuser, ils entraînent Géo vers les toilettes, situées dans un réduit, au fond de la salle. Dès qu'ils sont isolés, Charles pointe son Colt sur Géo et demande calmement:
" On le descend ? " En même temps, Neuamn déleste Géo de son 7.65 et le pointe à son tour, dans sa direction après avoir vérifié, devant lui, qu'il contenait bien une balle dans le canon. C'est le cas. Livide et tremblant davantage, Gèo s'effondre, se met a genoux et implore la pitié pour ses enfants car, dit-il, "je suis père d'une famille nombreuse... " Tu aurais dû y penser avant ", lui réplique Charles tout en lui enlevant son portefeuille et ses papiers. Ils doivent faire vite pour ne pas alerter la patronne. L'exécuter sur le champ, ou non? Tel est le dilemme. Après avoir compulsé rapidement sa carte d'identité ainsi que ses autres papiers, Neuman dit à Charles : "Je crois que nous avons le moyen de l'exécuter dans la rue ou de le retrouver plus tard. Ce qui éviterait de graves dangers à la patronne du café. En effet, les polices allemandes ne plaisantent guère avec les occupants d'un endroit où l'on découvre le cadavre d'un de leurs agents. Ils retournent dans le café. payent les bières et poussent Géo dans la rue, dépourvu de papiers. A peine dehors et s'étant ressaisi, Géo s'enfuit à toutes jambes et se mêle à des passants, parmi lesquels des soldats allemands, trop rapidement pour qu'ils ne puissent intervenir. "Dommage ", dit posément Charles. Mais nous ne pouvons risquer ni de blesser ou tuer des innocents, ni de le poursuivre sans nous faire dangereusement remarquer.

"Il paiera la note plus tard ", ajoute-t-il " et se tiendra, sans doute, plus tranquille d'ici là. De plus, ce valet abject devra rendre compte à ses maîtres de sa mission ratée, ce que ceux-ci pourraient ne pas apprécier "...
Il leur reste à prévenir la " boîte aux lettres " et à faire savoir au groupe provincial que Géo est un agent double. Cela fut fait le jour même. Tel fut le comportement de Charles. en des circonstances difficiles et dangereuses où il risqua délibérément sa vie pour sauvegarder celles des autres. C'est parce que ce comportement traduit bien son courage, son humour flegmatique, son imagination constructive, sa personnalité attachante et son amitié " fidèle ", que Henri Neuman a relaté cet épisode vécu de ses activités de résistant.

Parmi les multiples autres tâches qu'il assume, fréquemment seul, ses initiatives de paralyser l'usage des canaux, en application de la stratégie du groupe " G ". dont l'un des axes visait les transports, méritent d'être soulignées. En ce domaine, Charles a mis au point une technique de sabotage particulièrement efficace : celle de dynamiter les aqueducs-syphons, bétonnés, par lesquels passent les rivières ou les ruisseaux qui croisent le canal. Pour ce faire, il faut pénétrer jusqu'à mi-corps, ou plus, dans le syphon, fixer une ou des charges d'explosifs à son sommet, déclencher l'explosion par un crayon " à retardement '' ou la provoquer, du dehors, en faisant usage d'un cordon " Bickford ". Lorsque l'opération réussit, et Charles y excelle, le fond du canal s'écroule et l'eau du bief s'engouffre dans la rivière ou le ruisseau, rendant le canal durablement inutilisable et faisant échouer les péniches qui s'y trouvaient. Il accomplit, seul mais avec succès, maintes missions de cette nature, nuisibles à des transports essentiels pour l'effort de guerre ennemi. Il en revient souriant et satisfait, même s'il a dormi à la
" belle étoile ", après l'opération, pour éviter les pièges du "couvre-feu". Car il est aussi un homme de la nature et des bois. Il n'a guère besoin d'un logement abrité. Tant dans ces opérations que dans d'autres, il a coutume de porter un sac de couchage en bandoulière, avec son matériel de sabotage, minutieusement préparé et rangé dans une serviette ou une mallette. Nanti de ce sac, il recherche un endroit propice et y passe une nuit reposante, ou ce qui en reste. Ses expéditions sont généralement nocturnes. Lorsqu'il est reposé ainsi, il lui arrive, au matin, après avoir camouflé soigneusement ses bagages dans quelque fourré, de retourner sur le lieu de son opération, de se mêler aux curieux que l'événement a attirés et de savourer la nervosité de la police allemande qui s'attache à les disperser. Et cela bien sûr, contrairement aux directives de l'état-major, car c'est prendre un risque inutile. Il explique alors, avec un sourire convaincant, que c'est pour faire un rapport, plus rapide et direct, au sujet des résultats de l'opération et des réactions de la population.

Tout cela, il l'accomplit jusqu'en mars 1944, moment où il est arrêté, à Bruxelles, dans des circonstances peu claires , bien que l'on a la certitude que ce n'était pas à l'occasion d'une opération de sabotage. Ce fut donc sans doute à la suite d'une dénonciation, dans l'une de ses résidences clandestines. Il fut conduit directement à Breendonck ( camp de détention et de concentration au nord de Bruxelles ), où il fut soumis à la question et à la torture. Par l'intermédiaire d'un dirigeant retourné de la Gestapo , le groupe paya le coût de l'interruption de l'enquête dont il est l'objet, ce qui provoque son transfert vers le camp de concentration de Ehrlich-Dora. Dans un message qu'il réussit, durant son transport, à transmettre à sa famille, il écrit que son traitement a été récemment adouci, qu'il part pour l'Allemagne et qu'il reverra bientôt les siens. C'est dans cet esprit qu'il arrive à Ehrlich-Dora. Forcé d'y travailler dans des usines de guerres voisines, il y organise de nouveaux sabotages. C'est probablement leur découverte par l'ennemi qui provoque son exécution le 2 septembre 1944, à la veille de la libération de Bruxelles.
Le destin de certains hommes exceptionnels n'est pas de vivre longtemps de manière commune mais de vivre, brièvement et intensément, une aventure extraordinaire, élevée et exemplaire. Tel fut le sort de Charles Mahieu, qui se sacrifia courageusement à son idéal et à son pays. Le monde manque et manquera d'hommes de son idéalisme, de son esprit, de sa stature et de sa trempe. Ils peuvent, en effet, exercer une influence communicative, sur l'évolution de l'humanité. C'est grâce à des hommes comme lui et à leur martyre que le régime nazi a été écrasé. Cela, nul, même parmi les jeunes générations, n'a le droit de l'oublier aujourd'hui.

Lors d'une cérémonie émouvante à laquelle participe une foule énorme et les élèves des écoles, la ville de Braine le Comte consacra solennellement, le 22 mai 1960, par l'apposition d'une plaque commémorative, très sobre, placée sur la façade de la maison natale de Charles Mahieu, son admiration et sa reconnaissance "Ici vécut le Colonel Charles, Gaston MAHIEU du Groupe Général de Sabotage de Belgique "G ", mort pour la patrie au camp d'Ehrlich, le 2 septembre 1944 ".
Parmi les discours prononcés, Robert Leclercq s'exprime en ces termes d'une élévation et d'une chaleur de pensée qui traduisent la nature et la richesse de sa personnalité d'exception


" Pourquoi faut-il donc toujours et toujours encore que l'humanité sacrifie ainsi les meilleurs d'entre nous, en des guerres stériles et fratricides? Pourquoi faut-il que dans le sang répandu, les tortures et les souffrances infligées, ce soient de tels êtres d'élite qui meurent sous les coups du sort? L'immense puissance de notre douleur ne réussit pas à trouver réponse à cette question tant de fois posée. Et pourtant, il se peut qu'à la longue, les hommes guéris enfin de leur folie, consacrent toute leur industrie à sauvegarder la joie de vivre, dans un pur soleil, à la recherche de cette seule fin digne de nous: le bonheur. Car, laissez-moi espérer, concitoyens de Braine le Comte, que vous ne verrez pas en Charles Mahieu seulement un soldat sans uniforme, dur et insensible, pour négliger cette autre image de lui, faite de bonté et d'intelligence souriante.


L'inauguration de cette stèle nous offre cette magnifique opportunité de nous retrouver affectueusement unis dans un acte d'amitié à la mémoire de Charles Mahieu.
Même disparu, Charles Mahieu aura eu ce don magique de nous faire fuir nos demeures et nos soucis quotidiens pour nous retrouver rassemblés ici à son muet appel.
Je garde la conviction que s'il pouvait, aujourd'hui, vous parler, il vous dirait encore, avec ce bon sourire dont il avait le subtil secret que vous ne devez avoir d'autres soucis que de faire taire vos haines, vos peurs et vos craintes pour répandre autour de vous et en vous-mêmes la joie d'un cœur paisible et tranquille. Ses pensées se seraient tournées, j'en suis assuré, vers quelque message d'amour et de fraternité. Ce sont là, certes, des mots usés, éculés et vieux comme le monde et cependant si riches de grandeur qu'ils ne peuvent faire sourire avec dédain. Nous qui avons été contraints de recourir aux armes et à des actions auxquelles, malgré leur audace et leur vertu virile, nous répugnions, sachons nous faire les porte paroles de cet évangile de solidarité humaine qui serait aujourd'hui le credo de Charles Mahieu. Si nous avons dû, avec lui ou sous ses ordres, faire jusqu'au bout une guerre cruelle qu'aucun de nous n'avait voulue et que nous espérions tous voir finir plus tôt, nous saurons bien consacrer assez de notre temps et de notre peine à construire cet univers de paix et de fraternité. Voyez-vous, on vous apprendra à l'école bien des grands noms du passé. Vous connaîtrez bientôt quels sont les grands capitaines, les grands hommes d'Etat, les grands artistes, les grands musiciens, les grands poètes et les grands savants. Le nom de Charles Mahieu ne s'inscrit pas, lui, dans toute cette longue liste de noms qui jalonnent notre histoire et l'histoire du monde. Et cependant, il fut un grand chef, un très grand chef. Suivi d'une poignée d'amis fidèles, presque sans armes, sans moyens, sans uniforme, il a lutté et lutté encore contre les dangers effrayants qui nous menaçaient tous et vous auraient menacés aussi aujourd'hui, s'il n'avait triomphé. Ignorez toujours qu'ils se sont appelés des Allemands mais c'était le mensonge, l'ignorance et l'ambition qui voulaient régner sur le monde. Pourquoi fut-il ainsi sacrifié? Pour que le mensonge, l'ignorance et l'ambition disparaissent de ce monde. Quand vous mangerez ce pain de tous les jours, quand vous n'aurez pas froid l'hiver, quand vous pourrez jouer et rire et être heureux sans souci et sans tristesse ; songez que c'est à cet homme, à Charles Mahieu, que vous le devez un peu et même beaucoup. Et si jamais un jour, l'ignorance, le mensonge et l'ambition redressent la tête et triomphent encore, n'hésitez pas à faire votre devoir, comme Charles Mahieu a fait le sien. Il vous a montré la voie toute droite qu'il faut suivre, sans hésitation, Si grand que soit le sacrifice où elle risque de mener. Oui, car la vie est à ce prix. Périsse le monde, s'il ne peut se construire sur la justice, la tolérance, la commune égalité de tous les hommes, sans distinction de classe et de conviction."


Puisse ce message d'un grand résistant être encore reçu, surtout par les jeunes générations.


Source bibliographique : "Avant qu'il ne soit trop tard" par Henri Neuman, Editions Duculot, 1985, D. 1985 0035 16.)
 
 
Note: 5
(2 notes)
Ecrit par: prosper, Le: 28/05/11


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