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Par Bauwens




Le canal de Schipdonk , officiellement appelé , Dérivation de la Lys .
Le canal de Schipdonk traverse la province de Flandre orientale et l [Suite...]

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Rss Le Général Jules Bastin


Ses évasions

Les mêmes qualités de courage, de sang-froid et d'audace que Jules Bastin montra pendant la guerre de 1914-1918 au cours de sa captivité et de ses évasions, se manifestèrent à nouveau dans la résistance et la formation de l'Armée secrète en 1940-1945. Il naquit le 23 mars 1889 à Roux, un petit village de la région de Charleroi où une plaque commémorative à sa mémoire fut inaugurée en 1947.
La carrière des armes attira Jules Bastin et, comme beaucoup de jeunes gens de province qui entrèrent à l'armée, il s'engagea à 17 ans dans une école régimentaire, celle du 13e de ligne à Dinant et s'y prépara à l'Ecole militaire où il entra en novembre 1907 à la 58e promotion d'infanterie et de cavalerie.
Il en sort sous-lieutenant en 1909 et est affecté au 3e régiment de Chasseurs à pied. Mais il est attiré par la cavalerie et obtient de suivre pendant deux ans les cours de l'école d'équi-tation d'Ypres.
Au terme de sa première année, le Commandant de l'Ecole le note ainsi : “ Bon officier, sérieux, dévoué et très allant, monte à cheval avec énergie et emploie les aides judicieusement, aborde franchement les obstacles... ” Il se classe dans le premier tiers de la promotion. Il suit ensuite les cours de l'Ecole d'infanterie à Beverloo et revient à Ypres pour terminer son Ecole d'équitation, dont le Commandant exprime le souhait de le voir revenir comme instructeur. Il reprend du service au 3e Chasseurs à pied, mais le 25 décembre 1913 son rêve se réalise, il passe au 1er Chasseurs à cheval à Tournai.
Possédant au plus haut point l'esprit cavalier fait d'audace, d'habileté, de maîtrise de soi et d'intrépidité, le moment approche où il va pouvoir déployer toutes ces belles qualités.

En août 1914, quand la guerre éclate, son régiment se trouve dans la région de Chaumont-Gistoux où il couvre la mise en place de la 6e Division d'armée. Le lieutenant Bastin est envoyé en reconnaissance au contact de l'ennemi. Le 16 août à Sart-Risbart, au cours d'une escarmouche, l'étendard du régiment est tombé aux mains de l'ennemi. Bastin, dans sa fougue irrésistible, rassemble quelques cavaliers volontaires et se porte vers l'ennemi pour reprendre l'emblème. Ses hommes se sacrifient sous le feu des
mitrailleuses et Bastin, blessé, est écrasé sous son cheval mort.
Voici comment il évoque cet épisode, un an plus tard, alors qu'il est en cellule
“ ... je revois la chevauchée sous le feu des mitrailleuses, le choc et la dégringolade du talus, à travers les rangs de mon peloton. Je revois la patrouille allemande venant se rendre compte des résultats du tir. Et puis c'est le transport, la cure de Sart-Risbart où je retrouve van Innis, l'ambulance, Hannut, l'hôpital de Bavière à Liège...
Il est soigné correctement par les services du front et évacué vers l'Allemagne où les blessés sont accueillis par les huées de la population que l'on a persuadée que les Belges avaient commis des atrocités sur les blessés allemands.
Pendant trois années, Jules Bastin va subir une captivité rendue plus dure par ses dix tentatives d'évasion, dont heureusement la dernière sera couronnée de succès.

Ces dix évasions, il va les raconter dans un livre qui paraîtra en 1936 chez Payot.
Dans la préface, le général français de Goys de Mézeyrac, président de l'Union française des évadés de guerre, s'exprime comme suit
“ Le journal du lieutenant Bastin, “ Mes dix évasions ”, nous offre un magnifique exemple de courage, de volonté, d'énergie, de persévérance.
A ces titres divers, il était nécessaire que ce journal ne sommeille pas plus longtemps dans les tiroirs personnels du jeune lieutenant devenu aujourd'hui colonel. Il fallait que la jeunesse puisse connaître cette lutte ardente livrée pendant plus de trois années par un officier prisonnier de guerre pour reconquérir sa liberté. Cette lecture est passionnante. Elle exalte chez le lecteur les plus nobles sentiments, elle est haute-ment éducatrice. Remercions donc l'auteur d'avoir rompu son silence, félicitons ceux qui surent le décider à publier son journal d'un évadé de guerre. ”
Et plus loin:
“ ... D'autres prisonniers sont animés par une âme plus ardente. Ils ont confiance dans la force morale et physique qui peut venir à bout de tous les obstacles, ils sont enflammés par la passion de reprendre la lutte pour la Patrie. Ceux-là sont obsédés par l'idée de l'évasion. Dès leurs premiers jours de captivité toutes leurs pensées, tous leurs rêves, tous leurs actes sont tendus vers ce but. Ils entraînent quotidiennement leur corps pour le durcir aux épreuves souvent extrêmes que comporte l'évasion. Ils familiarisent leur esprit avec le danger qu'il faut courir pour escalader le mur d'une prison encerclée de sentinelles, pour franchir une frontière garnie de fusils et de fils de fer barbelés, souvent électrifiés. Ah, qu'il paraît doux de rester dans la prison, quand dehors souffle la bise de l'hiver, quand il faudra marcher des centaines de kilomètres, coucher sans abri, à peine vêtu, sur le sol gelé, se réveiller claquant des dents et les membres glacés et tremblants.
Il faudra cheminer la nuit en évitant les routes, se jeter de forêts en forêts comme les bêtes. On sera traqué, on aura faim, on souffrira, on risquera sa peau. Ah oui, que la prison semble douce au moment de s'élancer ainsi à la conquête de la liberté
Que les chances de réussite paraissent infimes ! Et l'on hésite au moment de se lancer hors de la prison, sous le feu des sentinelles. Et la lâcheté, mauvaise conseillère, vous murmure doucement à l'oreille : Reste... ”
... “ en lisant Mes dix évasions, de Bastin, vous constaterez une bravoure inouïe, ajoutée aux calculs les plus perspicaces pour tromper l'adversaire et augmenter les chances.
Vous constaterez aussi que Bastin ne fut jamais un résigné, que toute sa vie de prisonnier ne fut qu'une lutte pour l'évasion. Qu'à peine capturé près du but, en dépit d'un découragement bien compréhensible, il se jure de recommencer sur-le-champ avec une ardeur accrue. Sa volonté, son énergie sont de fer. Dix fois il recommencera.
Il est admiré par tous ses camarades. C'est un entraîneur d'héroïsme.

J'ai connu Bastin au Fort IX à Ingolstadt. Il y arrivait alors que pour évasion, je purgeais un mois de prison hors du fort dans un cloaque empuanti des bords du Danube. Aussitôt mon retour au Fort IX, le 23 juillet 1917, j'apprenais par la rumeur publique qu'un officier belge, un rude gars, était arrivé en mon absence, auréolé d'un très grand nombre d'évasions dramatiques, presque toujours conduit à la frontière allemande ou à proximité. Une réputation aussi vite établie dans le camp spécial du Fort IX, où était réunie la fine fleur de l'évasion de toutes les armées alliées, méritait attention. Aussi je m'empressai de faire la connaissance de Bastin... ”
“ Le 25 novembre 1917, à Rotterdam, je retrouvais Bastin. Tous les renseignements qu'il m'avait donnés sur le parcours avaient été rigoureusement exacts. C'est pourquoi je lui ai voué une reconnaissance profonde et je suis heureux de le lui dire en préfaçant son magnifique journal.
Et nombreux sont ceux qui, par ma plume, lui expriment la même reconnaissance, car quantité d'évadés des armées alliées, renseignés par lui, purent ainsi reconquérir leur liberté et à nouveau servir leur pays. ”
Bastin commence son récit le 19 août 1914. :
“ un train de blessés fait lentement son entrée à Aix-la-Chapelle. Des infirmiers des deux sexes prodiguent des rafraîchissements aux blessés allemands. La main quémandeuse d'un Belge est brutalement repoussée .Le commandant van Innis et moi, passablement déguenillés, sommes descendus sur le quai et transportés vers les voitures d'ambulance. Des civils, hommes et femmes,
forment une haie menaçante. Poings brandis, épithètes grossières. Un homme gesticule furieusement en étreignant un pistolet... et tout de suite s'impose à notre esprit le contraste, bien commun par la suite, entre l'attitude courtoise des combattants allemands sur le champ de bataille et la hargne des gens de l'arrière. ” Dès son internement à Magdebourg, il pense à s'évader, à se procurer des vêtements civils, à pratiquer l'allemand, a s’entraîner physiquement, à étudier les habitudes de la garde et àse procurer de l'argent allemand.
Fin mars 1915, un officier russe lui propose de s'associer à sa tentative en se cachant dans la chapelle avec deux autres Russes. Ils réussissent après de nombreuses difficultés et se faufilent entre les sentinelles.
Bastin, qui est correctement habillé en civil, gagne la gare et obtient un billet pour Berlin. Le voyage en 2ème classe s'avère facile.
A Berlin, il passe la nuit à l'hôtel et continue son voyage vers Lübeck sans encombre, grâce aux nombreux marks qu'il a pu se procurer.
Il contacte le capitaine d'un vaisseau danois qui accepte de l'embarquer clandestinement vers l'Angleterre, mais, finalement refuse, par crainte des sanctions graves dont il est
passible en cas de découverte.
Bastin essaie alors de franchir la frontière danoise et prend le train en direction de celle-ci. Malheureusement, une surveillance spéciale est exercée à proximité de la frontière, il est repris et ramené à Magdebourg (1ère tentative).
Quelques jours plus tard, en mai, alors qu'il est encore en possession de ses vêtements civils, il réussit à s'infiltrer sous les barbelés et à déambuler innocemment au-delà de ceux-ci. Il prend le train pour Berlin et de là pour Cologne et Euskirchen, à cinquante kilomètres de la frontière belge qu'il va essayer de franchir.
Il continue sa route à pied, parfois à travers champs, se dirigeant grâce à une carte de l'indicateur des chemins de fer et à une boussole qu'il a pu acheter.
Epuisé de fatigue et de soif, il se dirige de nuit vers Monschau, proche de la frontière belge. Finalement il se réfugie dans une auberge pour manger et dormir, mais n'ayant pas de papiers d'identité, il ne peut éviter d'être emmené à la Kommandatur et repris (2e tentative).
Il est alors déplacé vers un nouveau lieu d'internement, à Torgau sur l'Elbe, où sont rassemblés des prisonniers récidivistes de l'évasion, qui établissent évidemment des nouveaux plans. Ils vont cette fois essayer de se diriger vers la frontière hollando-allemande au nord du Rhin, où ils espèrent qu'elle sera moins surveillée.
Mais il faut tout d'abord sortir de leur prison. Une tentative en plein jour de franchir le cordon de sentinelles échoue et Bastin et son ami John van Innis se retrouvent incarcérés (3e tentative).
Jules Bastin entretient chaque jour dans sa cellule, sa condition physique en faisant une demi-heure de gymnastique suédoise. Il attribue à cette pratique son maintien en condition.
Après quelques jours, ils sont enfermés, van Innis et lui dans une chambre spécialement surveillée et d'où ils ne peuvent sortir qu’une heure par jour.
Mais ils ne tardent pas à former un nouveau projet, celui d'un souterrain débouchant près de la ligne des sentinelles.
Ce projet, qui à première vue paraît impossible, ils l'étudient avec toute la patience des prisonniers et commencent à le réaliser. Il leur faut plus de trois mois pour construire ce tunnel de 25 mètres, évacuer les déblais, l'étançonner, s'assurer de la bonne direction et ne pas périr asphyxiés.
Enfin, le 19 janvier 1916, tout est prêt. Trois candidats à 'évasion s’introduisent dans le tunnel, soulèvent précautionneusement la trappe qui le ferme provisoirement et se réfugient dans une fausse poterne en attendant la relève de la sentinelle. Mais un bruit léger a alerté celle-ci qui appelle une ronde avec des chiens qui n'ont aucune peine à découvrir les fugitifs
(4e tentative).
Ceux-ci sont à nouveau enfermés en cellules séparées et, après trois mois, Bastin comparaît devant le conseil de guerre qui le condamne à cinq mois de prison.
Il est ensuite transféré à Burg, 25 kilomètres à l'est de Magdebourg dans un camp de huit cents officiers de toutes nationalités, spécialement bien gardé.
Bastin y fait une nouvelle tentative à la fin de juillet 1916. Il profite du renouvellement des paillasses qui leur servent de matelas et, avec la complicité des ordonnances françaises, il est transporté en dehors du camp où la paille doit être brûlée. Il attend la nuit et se met en marche pour Magdebourg. De là, il prend le train pour Hanovre où il passe la nuit dans un hôtel. Il reprend le train pour Hamme et de là se met en route, à pied, pour la frontière hollandaise. Au fur et à mesure qu'il s'en rapproche, il ne progresse plus que de nuit et se repose le jour. Il est sur le point d'atteindre la frontière quand il tombe, dans l'obscurité sur une sentinelle qui l'arrête. Il est ramené en prison pour un mois et envoyé ensuite au fort Zorndorf à Küstrin-sur-Oder, d'où paraît-il on ne sort pas (5e tentative).
Il y fait la connaissance du célèbre aviateur français Roland Garros, un autre as de l'évasion. Bastin s'associe avec lui, car Garros a des complicités à l'extérieur qui doivent lui
permettre de sortir d'Allemagne par la mer Baltique. Mais quand Garros est transféré dans un autre camp, tout est à recommencer.
Bastin s'associe alors avec deux officiers anglais et combine une nouvelle tentative en janvier 1917 par un temps de neige. Ils se font enfermer dans la chapelle et, après avoir évité les sentinelles, ils emploient une échelle de fortune pour franchir le mur des fossés du fort. Au moment où ils atteignent le sommet, l'alerte est donnée et c'est à nouveau la cellule de la prison de Küstrin (6e tentative).
Bastin ne se laisse pas décourager et réussit à scier les barreaux de sa cellule, sort de celle-ci, franchit une palissade, mais est surpris par des soldats alertés par une jeune fille qui avait vu son évasion (7e tentative).
Il est à nouveau condamné à plusieurs mois de prison et doit purger sa peine dans un fort à Kônigsberg en Prusse orientale. Au mois de juillet 1917, il est transféré à Ingolstadt en Bavière, où il retrouve des officiers français, anglais, russes et belges, ayant tous plusieurs évasions à leur actif et désireux de recommencer.
Le 11 avril, Bastin est autorisé à faire des achats en ville sous la surveillance d'une sentinelle. Il réussit a s'échapper d'un
magasin, marche jusqu'à Eichstädt où il prend le train pour Nüremberg, ensuite pour Cologne et Aix-la Chapelle.
On lui a donné un “ tuyau ”. Il doit prendre un tramway jusqu'aux limites de la ville et marcher vers la frontière hollandaise en contournant les localités. Il se cache dans un buisson en attendant la nuit, et rampe alors jusqu'à la clôture de la frontière. Mais il accroche un fil de fer ce qui alerte les sentinelles. Il est repris et ironiquement, un Allemand lui montre un trou dans la haie par où il aurait pu passer en Hollande ! (8e tentative).
Il est ramené à Ingolstadt mais n'est pas incarcéré car la prison est pleine.
Immédiatement de nouveaux projets d'évasion sont mis sur pied avec des camarades, car l'organisation du fort IX est plus fantaisiste qu'elle ne l'était en Prusse.
Un homme de garde est corrompu avec du chocolat, on obtient le mot de passe, des uniformes allemands et un groupe de trois prisonniers réussit à sortir du fort. Ils se débarrassent de leurs uniformes et vont prendre le train à la gare. Malheureusement le train est arrêté en route et la vérification des papiers les fait découvrir (9e tentative).
Bastin s'associe alors avec un officier français qui a découvert un lanterneau donnant sur le parapet du fort, mais ce chemin débouche sur un endroit surveillé par cinq sentinelles
“ Passer inaperçu dans le silence nocturne est donc impossible, Si peu vigilants que soient les gardiens. Mais par une nuit bien noire, on peut encore échapper à leurs coups... ! ”
On est en novembre 1917, il faudra franchir le fossé plein d'eau glacée; aussi Bastin s'entraîne-t-il à supporter l'eau froide.
A 8 heures du soir, ils se hissent par une cheminée et débouchent à moins de 4 mètres d'une sentinelle. Ils se laissent glisser jusqu'à l'eau et commencent à nager, tirant un paquet imperméable avec leurs vêtements. Une sentinelle est alertée et un feu nourri est ouvert sur eux. L'ami de Bastin disparaît mais lui continue et se dissimule dans un taillis pendant que les Allemands fouillent les environs avec des chiens. Il est complètement gelé et avale toute une bouteille de rhum pour se réchauffer. Il se met en marche vers une petite ville à 25 kilomètres de là et réussit à prendre le train vers Münich, Cologne et Aix où il refait son itinéraire précédent.
Il connaît bien maintenant les lieux. Dans la nuit noire, il escalade un talus et se retrouve près de l'endroit où il fut arrêté quelques mois plus tôt. Il rampe jusqu'à la place qu'on lui avait montrée, échappe à une ronde et parvient à la clôture de la frontière. Il creuse un passage sous celle-ci et se retrouve en Hollande
“ Enfin, brisé, je me laisse choir, les bras en croix. Je savoure le moment et rend grâce au Seigneur, car je suis en Hollande, c'est certain. Je vis là des minutes capables de payer tout l'avenir ! ” (10e tentative).

A Sittard, quelques heures plus tard, il a la joie de retrouver le camarade français avec qui il s'est échappé.
A Maastricht, il rencontre une dame belge et sa fille. Il leur saute littéralement au cou en leur disant qu'il s'est évadé d'Allemagne et qu'elles étaient les premières Belges qu'il rencontrait. La soirée se termina dans l'euphorie, la jeune fille c'est Mlle Mathot qui devint plus tard Madame Jules Bastin.
Bastin se retrouve le 2 décembre 1917 à Calais. Il est examiné par le Service médical et on constate qu'il est atteint d'anémie suite au régime débilitant auquel il a été soumis.
Après sa convalescence, il reprend du service au 1er Chasseurs à cheval et participe le 6 mars 1918 au combat de Reigersvliet. Mais pour éviter qu'il ne retombe aux mains des Allemands, Bastin est alors affecté au 1er régiment d'artillerie avec lequel il participe à l'offensive libératrice.
Il est fait chevalier de l'Ordre de Léopold avec palmes et Croix de guerre, avec la citation suivante:

“ A été fait prisonnier, blessé sous le cadavre de son cheval. Guidé par un sentiment patriotique élevé, n'a cessé dans les conditions les plus pénibles et dans des circonstances parfois tragiques de tenter de s'échapper, ne s'est laissé rebuter par aucune difficulté et malgré les dangers constants auxquels il s'exposait a tenté neuf fois de rejoindre la frontière. Après une dixième tentative des plus pénibles, a réussi à rejoindre l'armée de campagne où il a immédiatement repris du service aux tranchées. ”


Pendant la Seconde Guerre mondiale

En mai 1925, il a été fait chevalier de la Légion d'honneur et a reçu la Médaille des évadés de France.
Après la guerre, Jules Bastin retourne à la cavalerie, se présente à l'Ecole de guerre dont il sort breveté d'état-major en 1923. En 1936, il devient sous-chef d'état-major du Corps de cavalerie à la motorisation duquel il se consacre. En 1939, au cours de la mobilisation, il commande pendant quelques mois le 1er régiment de Lanciers à Spa.
Ses officiers sont fiers de servir un tel chef, auréolé de ses exploits de 1914-1918.
Pendant les heures de détente, au mess, les officiers de son état-major le harcèlent pour entendre de sa bouche le récit de ses évasions. Un jour ayant perdu une partie de dés, il doit céder à leurs exhortations et il leur conte un épisode que sa modestie l'avait empêché de rapporter dans son livre.
En août 1914, c'était en essayant de récupérer l'étendard du régiment tombé entre les mains de l'ennemi, qu'il avait été blessé et fait prisonnier.
Hanté par le regret de n'avoir pu le faire, il forma le projet de reprendre l'emblème. Il apprit que lés drapeaux pris à l'ennemi étaient gardés dans l'arsenal de Berlin.
En 1915, au cours d'une de ses deux premières évasions, il passa par cette ville et durant toute la nuit il s'efforça en vain de s'introduire dans l'arsenal. N'y étant pas parvenu il reprit le chemin de la frontière qu'il ne réussit à franchir qu'à la dixième tentative .
Après quelques mois de commandement du 1er Lanciers, il est nommé chef d'état-major du Corps de cavalerie avec lequel il fait la campagne des Dix-huit jours et reçoit la citation suivante
“ Pénétré de la plus haute conception du devoir, doué d'une remarquable énergie, a été au cours des journées du 10 au 15 mai 1940, dans l'exercice de ses fonctions commandement, se signalant par sa bravoure, son activité, son esprit d'initiative. ”

A la capitulation de l'Armée belge, Bastin qui n'a aucune envie de refaire connaissance avec les geôles allemandes, se replie vers Dunkerque, réussit a s'embarquer pour l'Angleterre et rejoint la France avec l'espoir de continuer la lutte. L'armistice français met fin à cet espoir.
Vers la fin juin, dans une petite ville du sud de la France, Villeneuve-sur-Lot, quelques officiers belges et français, écrasés par la défaite, se trouvaient engagés dans une conversation lugubre. Et voici que s'avance vers ce groupe de vaincus le colonel Jules Bastin, célèbre par ses évasions. L'armistice de Pétain n'a nullement ébranlé sa foi en l'avenir. En ce mois de juin, avec son allure décidée, son visage serein, son amabilité souriante, il dit à ses collègues “ Pourquoi ces mines déconfites ? La guerre commence seulement. Je suis parti par Dunkerque. Je reviens d'Angleterre. J'ai vu la volonté farouche des Britanniques. Dites-vous bien qu'ils ne céderont jamais.

Bastin qui n'était pas un optimiste aveugle et ne pouvait prévoir les erreurs colossales d'Hitler, ajoutait : “ Cela durera peut-être dix ans, comme ce fut le cas à la Révolution française et à l'Empire, mais nous gagnerons. ” Le grand soldat, au cours des jours suivants, hésita un instant quant au meilleur moyen de reprendre la lutte. Retourner en Grande-Bretagne? Rentrer au pays occupé et y entamer l'action aussitôt?
Il choisit le parti le plus ardu, le plus périlleux : il rentre au pays, pour lutter encore, tout de suite et à fond.
Le 10 octobre 1940, il est affecté à l'Office des travaux de l'Armée démobilisée (OTAD) et dirige le Service des colis des prisonniers de guerre, dépendant de la Croix-rouge de Belgique. Il l'organise de main de maître et grâce à lui, qui connaît si bien les besoins des prisonniers de guerre, ceux-ci reçoivent le confort qui leur est nécessaire.
Il entre en contact avec le colonel Lentz, président de l'Union des officiers de réserve (UNOR) et le commandant Claser qui organisent un groupement de résistance sous le nom de Légion belge.
Grâce à son prestige, il réunit autour de lui des éléments dévoués, issus principalement des régiments de cavalerie et des régiments d'infanterie de Bruxelles. Le groupement ainsi formé sera la réserve mobile de la Légion belge.
Il s'abstient toutefois de participer à la direction du mouvement, car il est surveillé de près.
Il entre cependant en contact avec un groupe qui diffuse un journal clandestin ''La voix des Belges''. Les Allemands en trouvent la piste et perquisitionnent deux fois dans son bureau. La deuxième fois il est arrêté et jugé. Grâce à une habile défense, il s'en tire avec un mois de prison.

Le colonel Lentz ayant été arrêté, Bastin reprend sa place, comme convenu, à la tête de la Légion belge. A Londres le gouvernement Pierlot avait une nette prévention contre celle-ci, comme en témoignent certains de ses messages. Il la soupçonnait de visées politiques et peut-être de vouloir appuyer, à la libération de la Belgique, un gouvernement autoritaire.
Le “ Spécial Opération Executive ” britannique (SOE) voulait au contraire soutenir la Légion belge sans aucune réticence, ce qui donna lieu à un grave conflit avec le Gouvernement belge au cours de l'été 1942.
Les préventions du Gouvernement furent surmontées, quand il eut consulté le grand résistant Walthère Dewé, chef du réseau Clarence, qui était un ami de Bastin et qui lui apporta sa caution. Dans les premiers jours de 1943, Dewé rencontra Bastin et lui dit :“ Je ne suis pas le Messie, mais Jean-Baptiste. Je vous annonce votre nomination prochaine à la tête du Mouvement. ”
Peu de temps après, Londres prévenait Bastin que le Conseil des ministres le reconnaissait officiellement comme commandant de la Résistance militaire en Belgique .
Le but de Bastin était uniquement de mettre à la disposition du pouvoir légal une force matérielle et morale susceptible d'aider à la libération du territoire au moment opportun. Il l'appellera Armée de Belgique pour affirmer le caractère régu-lier et purement militaire qu'il entend lui maintenir. Plus tard elle prendra le nom d'Armée Secrète.

L'Armée belge, disait Bastin, ne compte pas seulement deux éléments, l'Armée d'Angleterre et l'Armée prisonnière, il en est un troisième, l'Armée de Belgique, le plus important par ses effectifs et le rôle qu'il sera appelé à jouer.
Peu après, arrivait de Londres un autre grand Belge, François de Kinder, neveu du Premier ministre Pierlot et qui succomba plus tard sous les balles des Allemands.
Avant de quitter la Belgique où il était déjà traque, il avait rencontré le colonel Bastin chez un ami commun et, de cette entrevue, naquit le projet de faire connaître officiellement par notre Gouvernement la Résistance belge, de la doter d'un statut et de la rassembler sous un commandement unique.
Il obtint un premier succès quand le 30 décembre 1942, le Premier ministre envoya au colonel Bastin un message chiffré qui disait notamment
“ La décision la plus importante est le choix du chef. Le gouvernement a cherché à porter son choix sur un officier qui, par son grade, son passé militaire, la confiance qu'il inspire a tous les milieux sains, puisse rallier, en dehors de toute polé-mique, de toutes les controverses, de toute tendance politique, l'ensemble des Belges de bonne volonté désireux de servir et de contribuer à la libération du territoire. Le gouvernement a porté son choix sur vous.
Il vous donnera des directives générales. Etant sur place vous aurez à arrêter dans le sens de ces directives, les ordres que vous donnerez aux formations sous votre commandement.
Le gouvernement vous soutiendra en donnant un
caractère officiel à votre commandement pour mettre fin à toutes hésitations, toutes divisions, et créer l'unité parmi les forces militaires destinées à opérer en Belgique au moment voulu. Le gouvernement vous soutiendra en outre, en mettant à votre disposition les fonds nécessaires et qu'il pourra vous faire parvenir, ainsi que les armes qui vous seront envoyées avec le concours des Britanniques...
Le gouvernement compte entièrement sur vous pour mener bien la tâche qu'il vous confie et dont le succès Importe au salut du pays
Le colonel Bastin marqua aussitôt son accord et le statut de l'Armée de Belgique, force unique de la Résistance militaire beige, fut élaboré à Londres et envoyé en Belgique sous le nom de
“ Cheval de Troie ”.
Fort de cette précieuse charte, Bastin passe immédiatement à l'action. Il organise son commandement militairement, met en place des commandants de zone, de province, de secteur, se constitue un état-major central de tout premier ordre...
Puis, il entame le travail de ralliement des groupes qui lui est prescrit en commençant par le groupe “ Action ”, détaché de la Légion depuis quelques mois. Puis c'est l'Armée de
libération ” que dirige Pierre Clerdent et dont le chef militaire sera le colonel Gérard, camarade de promotion de Bastin.
Mais rien n'est aussi dangereux que ces compénétrations de groupes qui amènent l'infiltration d'inconnus.

Fin avril 1943, un messager vient de Liège apporter au colonel une invitation à une conférence avec les chefs du groupe “ Action ” et des agents venus de Londres pour convenir de parachutages massifs. Un des adjoints du
Colonel, pris de soupçons, lui déconseille d'y aller. Il réfléchit et répond : “ Si c'est vrai, c'est trop important car nous sommes au printemps et peut-être à la veille d'un débarquement. S'il y
a du danger, je ne puis abandonner les autres. Non, je dois y aller ”. En fait, toute l'affaire était montée par la Gestapo.
C'est dans ses voitures, conduites par des hommes camouflés, que les chefs furent menés au rendez-vous et mitraillés à bout portant. Bastin fut sérieusement touché, tous furent blessés ou tués, emmenés à la caserne de gendarmerie et interrogés.
Dix semaines après son arrestation, Bastin fait alors la surprise prodigieuse de réapparaître. C'est ce qu'il a appelé son évasion “ intellectuelle ”.
Créant des équivoques, usant de documents préparés pour les besoins de la cause, il laisse croire aux Allemands que s'il a, en effet, assisté à des réunions clandestines, c'était pour y prêcher le calme et l'abstention. Il sut si habilement rejeter les responsabilités sur les absents et sur les morts que personne ne fut inquiété.
Mais il est surveillé, doit aller deux fois par semaine au contrôle allemand, c'est l'homme le plus “ brûlé ” de Belgique.
Le colonel Gérard a pris le commandement de l'A.B., mais Bastin se fait tenir soigneusement au courant de sa vie par quelques amis sûrs.
Il a l'occasion d'avoir une entrevue avec le commandant Marissal envoyé de Londres avec enfin les consignes, les moyens, les liaisons. On lui offre, puisqu’il est brûlé, de l'enlever et de le conduire à Londres en avion, éventuellement avec sa famille. Il refuse, car il estime que sa présence est indispensable pour l'Armée de Belgique.

En octobre, il décide de reprendre le commandement effectif tout en s'entourant de mille précautions Il envisage d'entrer dans la clandestinité, mais ses instants de liberté sont comptés. Une visite de Himmler en Belgique a fait renforcer toutes les mesures allemandes de sécurité, les nombreuses arrestations parmi les membres de l'A.B. ont resserré l'étau autour de lui. Le 24 novembre 1943, il est appréhendé et cette fois sans espoir de retour.
Emmené à la prison de Saint-Gilles, il prépare son évasion. Dans les bureaux allemands, il est reconnu par un officier des SS qui avait été un de ses gardiens en Allemagne pendant la guerre 1914 -18 et qui aurait fait la réflexion suivante à ses collègues “ Celui là vous ne le garderez pas longtemps ” De sa prison, son génie étonnant lui dicte encore les moyens de servir l'A.B. et, par les intelligences qu'il se crée dans la place, il avertit de la marche de l'enquête à laquelle sont mêlés 70 officiers arrêtés précédemment, dictant les précautions à prendre par ceux qui s'avèrent connus de l'ennemi et menaces.
Il prend des contacts avec l'extérieur et, de sa cellule, il dirige les préparatifs d'évasion : il note minutieusement les heures des rondes de nuit à l'intérieur de la prison, les rapproche des indications reçues sur les rondes extérieures pour établir qu'à tel moment de la nuit et à tel endroit, il aura exactement tant de minutes pour franchir le mur d'enceinte. Au bout de deux mois tout est prêt : fausses clés, échelles télescopiques en aluminium, échelles de corde, les complicités nécessaires sont assurées, l'auto silencieuse attend au garage pour l'emmener reprendre son commandement car, pour un chef de sa trempe, il ne peut être question de rien d'autre, mais la lune est à son plein, il faut attendre les nuits noires, quand brusquement, sans que lui ni ses lieutenants en aient vent, il est emmené en Allemagne.
Bastin et ses compagnons ont été placés dans la catégorie “ Nacht und Nebel ” - nuit et brouillard -, ils doivent disparaître du monde extérieur et n'avoir avec celui-ci plus aucune communication; même leur mort ne doit pas laisser de traces.
Malgré tout, des mères et des épouses, alertées par un gardien belge de la prison, montent dans le même train avec l'espoir de revoir une dernière fois l'être chéri. A Verviers, le colonel Bastin aura l'immense joie de pouvoir étreindre une dernière fois sa fille qui réussit, malgré la garde, à monter dans le wagon. Le 7 février 1944, Bastin et ses compagnons sont au camp d'Esterwegen, le 10 mars à Gross-Strelitz, le 30 octobre a Gross-Rosen..
C'est dans cet enfer que vécut le colonel Bastin jusqu'au 1er décembre 1944. Entouré de ses deux fidèles compagnons
Jean Quinet et René Bodart ainsi que du docteur André, il mourut en brave, heureux d'avoir donné sa vie pour une cause juste et noble.
Citons ces mots du docteur André :
“ Que les êtres qui leur étaient chers, que leurs amis sachent que ces Belges, admirables patriotes, confiants dans la victoire finale, heureux de vous savoir délivrés de vos
oppresseurs, vivaient leurs derniers jours dans une euphorie rela-tive. Ils n'étaient plus battus, n'entendaient plus les hurlements sauvages de nos gardiens, ne devaient surtout plus aller à l'appel. Et telles les veilleuses qui s'éteignent lentement faute d'huile, ces âmes bien trempées moururent sans avoir la notion de disparaître pour toujours. ”

Le général Bastin n'était pas un chef facile. Il était exigeant dans l'exécution du service, mais soutenait à fond ses subordonnés.
Son courage et son énergie étaient sans limite. Un de ses collaborateurs qui avait été arrêté par les Allemands et relâ-ché, avait l'impression d'être constamment surveillé et menace.
Il lui demanda s'il n'estimait pas qu'il devait passer en Angleterre. Bastin lui répondit : “ Mon cher Albert, nous les avons mis dans le coup, tu resteras avec moi jusqu'au bout. ”
Dans les camps de concentration, cet homme de 55 ans qui avait déjà souffert de sa captivité en 1914-1917, paraissait parfois diminué. Mais un jour, à l'occasion d'une fête patriotique, ses compagnons entonnèrent la Brabançonne. On le vit alors se redresser de toute sa taille et se raidir dans un “ garde à vous ” impeccable .
En 1948, la 88e promotion (toutes armes) de l'Ecole royale militaire reçut le nom de
“ Général Jules Bastin”
Il a été fait baron par le Roi et Grand Croix de l'Ordre de la Couronne avec la citation suivante :

“ Dès le début de l'occupation du pays, s'est consacré activement à l'organisation et à la conduite de la résistance militaire où il joua très vite un rôle prépondérant grâce à sa clair-voyance, son énergie et son dévouement à la cause nationale. Il réussit après de longs et périlleux efforts à réunir tous les éléments de la résistance militaire en une force compacte, l'Armée secrète, qui, au service du pays sous l'autorité du gouvernement de Londres, remporta des succès qui resteront dans l'histoire. ”

A Spa, devant la villa qui fut le siège de l'état-major du 1er Lanciers, un monument a été érigé à la mémoire de celui qui fut le chef de corps du régiment en 1939, le colonel BEM Jules Bastin.

( Source: article de A. Crahay dans '' 20 Héros de chez nous '' paru aux éditions J.M. Collet )
 
 
Note: 3.5
(2 notes)
Ecrit par: prosper, Le: 28/05/11


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