Livre d'or

Par Dominord

Une vraie mine d'informations que ce site. Intéressant et bien écrit !

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Rss Paul Vekemans-Agent parachutiste résolu.
L’évasion par le Maroc et la mission d’un agent parachutiste résolu et peu conformiste.

Né le 15 octobre 1914 à Hampstead-Londres, de parents belges, Paul appartient à une famille de grands bourgeois d'Anvers, dont les affaires évoluent très mal au moment de ses études universitaires. Cela n'altère ni son caractère breughélien ni son adaptabilité ni son équilibre ni sa volonté. Robuste, il respire la force. Il termine, avec succès, à l'Université Libre de Bruxelles (U.L.B.), en néerlandais, les quatre épreuves sur les cinq nécessaires pour devenir docteur en droit et entre à la Force Aérienne (École d'observation) en qualité de candidat sous-lieutenant de réserve (C.S.L.R.). L'optimisme, la joie de vivre et la participation active aux «sorties» d'étudiants de ce libre-exaministe convaincu ne l'empêchent pas d'être conscient de la probabilité d'une agression nazie de la Belgique, malgré l'affirmation de sa neutralité.
C'est pourquoi, il choisit une arme où il pourra participer, en première ligne, aux combats qu'il prévoit. Il redoute moins le danger que la routine d'un service militaire dont la discipline le rebute. Il se voue, avec la passion qui le caractérise quand il vise un objectif, à sa préparation d'officier aviateur.
Mais celle-ci n'est pas terminée lors de l'invasion du pays, le 10 mai 1940. Pendant la campagne des 18 jours, il est évacué, avec son école, dans le midi de la France. Dès la capitulation de l'armée belge, il s'efforce de gagner la Grande-Bretagne avec son ami de l'École d'Observation, Gérard Bultot.


Paul Vekemans (au centre) et Gérard Bultot (à droite), "chez Gaston" à Londres en 1943



Leur premier objectif est l'Afrique du Nord d'où ils espèrent rejoindre plus facilement les forces alliées. Il est persuadé, en effet, que les armées anglo-françaises ne parviendront pas à résister, sur le continent, à l'agression allemande.
Il connaît, dès lors, des aventures extraordinaires que son caractère, son imagination, sa robustesse et sa détermination l'aident à traverser allègrement.
Vivant d'expédients, en France, il parvient ainsi que Gérard Bultot, à obtenir un passage sur un bateau danois, l'"Hébé 2", en partance pour le Maroc. Il travaille à bord comme soutier tandis que Gérard devient aide-cuisinier.
Dès leur arrivée à Casablanca, ils quittent le navire et cherchent des contacts qui pourraient leur procurer une possibilité de gagner la Grande-Bretagne, ou Gibraltar. Ils entrent ainsi en relations avec des officiers polonais qui ont la même volonté. Ils préparent ensemble une évasion, par mer, au moyen d'un bateau de pêche espagnol, dont ils ont convaincu le propriétaire de prendre le risque d'une traversée hasardeuse vers Gibraltar et dont le départ est prévu de la plage, isolée, de Fedala. Ce départ doit être clandestin et nocturne, les autorités militaires françaises du Maroc étant demeurées fidèles au Maréchal Pétain. Le soir prévu, au moment où Paul et ses compagnons sont entrés dans la mer, entièrement nus, et s'efforcent d'atteindre le bateau en gardant au sec leurs vêtements, leurs chaussures et leurs maigres bagages, qu'ils portent à bout de bras, ils sont interpellés et arrêtés par des gendarmes français surgis des dunes. Faits prisonniers, sans pouvoir s'échapper ou se défendre, ils sont traduits devant le Conseil de Guerre de Casablanca pour «séjour illégal en territoire marocain», puis internés à la forteresse d'Agdz où leur ami bruxellois, Adelin Slosse, sera emprisonné peu après avec d'autres officiers et sous-officiers belges et des aviateurs britanniques.


Adelin Slosse, candidat officier aux Forces Belges en Grande-Bretagne, 1943



Dans la mesure de ses moyens modestes, un capitaine gaulliste, des Affaires Indigènes, qui commande la circonscription, les fait traiter aussi bien qu'il le peut et les autorise à sortir sous bonne garde. Comment et où s'évader d'ailleurs? Mais cela les distrait et leur permet de connaître cette région, ses habitants, ses vallées, ses palmeraies, ses cultures, ses élevages et ses ksours.
Pour passer le temps, la cantine n'accordant guère de crédit, Paul lit, joue aux cartes avec ses compagnons d'infortune et compose des poèmes excellents. Il y évoque de façon émouvante les nuits africaines, éclairées par la lune et les étoiles, leur air et leurs parfums, leur silence entrecoupé des plaintes des chacals, leurs douars, les appels à la prière du soir des muezzins, les djebels orgueilleux et l'oued Draa, dont les eaux, absorbées par le sable, n'atteignent jamais la mer. Il y décrit, aussi, la vie des hommes et des femmes de ce pays qu'il apprend à aimer, leurs marchés, leurs souks, leurs charlatans, leurs bêtes de selle et de bât, le désert, ses pistes et ses nomades.
Ce Flamand cultivé assimile la richesse poétique et esthétique ainsi que les particularités et la culture des régions qu'il découvre. Près d'un an plus tard, en relation peut-être avec les initiatives britanniques en Cyrénaïque, nos trois amis, dont Paul est l'aîné et le mentor, obtiennent une liberté sur parole à la condition d'accepter du travail. C'est ainsi qu'il devient magasinier à Bou-Azzer, non loin d'Agdz, dans une mine de cobalt. Il exerce ces fonctions inattendues avec humour et bonne humeur. La qualité de son travail lui permet d'obtenir un emploi comportant plus de responsabilités et de liberté, à l'Office des Blés. Résidant à Marrakech, il est chargé de l'achat du blé aux agriculteurs pour le compte de cet office, ce qui lui permet de se déplacer et de subsister assez confortablement en arrondissant ses fins de mois par quelques opérations personnelles. Quant à Gérard, il travaille au charbonnage de Kenadza (Oujda) tandis qu'Adelin est maintenu à Agdz, en qualité de "chef de gare", responsable de la réception et de l'organisation des transports, par autocars, camions, mulets et chameaux.
Malgré leurs emplois différents et leur éloignement, les trois amis, toujours déterminés à partir ensemble, dès que possible pour la Grande-Bretagne, demeurent en contact par correspondance.
Ils n'atteignent leur objectif qu'après le débarquement allié et la libération du Maroc, le 8 novembre 1942.
Les Belges, internés dans le pays ou enrôlés de force dans la Légion étrangère, se retrouvent à Casablanca. Ne comptant guère sur le Consul belge qui ne l'a pas aidé et invoque la difficulté d'assurer son départ et celui de ses deux amis vers Gibraltar ou la Grande-Bretagne, il prend contact avec le Commandant - Frankignoul - d'un cargo mixte de 12.000 tonnes, le "Carlier", consigné dans la rade. Ce patriote courageux et déterminé veut, lui aussi, poursuivre le combat et s’affaire à obtenir un chargement destiné à la Grande-Bretagne. Paul le convainc de le recruter dans son équipage, ainsi que ses amis, en qualité de cadets. Remis en état de navigation et chargé de phosphate, le navire lève l'ancre vers Gibraltar, le 24 décembre 1942. Il atteint le port sans encombre mais doit y attendre la formation d'un convoi et d'une escorte, avant d'entreprendre, le 27 mars 1943, le voyage vers la Grande-Bretagne. Attaqué en cours de route par des avions et des sous-marins ennemis, le convoi perd quatre unités. Faisant preuve d'un courage tranquille, Paul participe activement au sauvetage de rescapés, parmi lesquels certains sont blessés. Il les réconforte et s'en occupe jusqu'à l'arrivée du médecin dépêché par une corvette de l'escorte. Arrivés à Londres, à la fin mars, les trois amis se portent volontaires pour des missions d'agents parachutistes. Si Paul et Gérard sont assez rapidement agréés, puis formés et entraînés, Adelin, simple soldat, n'y parvient que plus tard, au
"Special Air Service"(S.A.S.), après avoir dû suivre des cours préparatoires de candidat officier et été incorporé dans une section d'infanterie de la Brigade Piron, avec laquelle il participe à la libération de la Belgique.
Quant à Paul, il est parachuté en août 1943, pour une mission de préparation, d'organisation et de réception de parachutages d'armes et d'équipement, destinés à l'Armée Secrète (AS.), dans la région néerlandophone du pays. Gérard est chargé d'une mission analogue, dans les Ardennes. Il la réussit fort bien.
Dès son arrivée en Belgique, Paul s'active à sa mission. Il recrute, en qualité d'adjoint, un autre ami commun de l'U.L.B. Jacques Guyaux, qui accepte avec enthousiasme. C'est ainsi que ce francophone, agnostique, quitte sa famille pour devenir "illégal" en région flamande, à Gand, où il est hébergé par un abbé très courageux dont il devient l'ami. Les divergences linguistiques ou confessionnelles s'effacent, alors, au regard de l'objectif essentiel de participer à la lutte contre l'occupant et à la libération du pays.
Comme déjà évoqué, Paul Vekemans doit organiser la réception et le transport d'armes, d'explosifs et d'équipements destinés à l'Armée Secrète (A.S.). Et cela dans une zone comprenant deux provinces belges: la Flandre occidentale et la Flandre orientale. Aidé par son "radio" (dont le pseudonyme est «Vivian») et par son adjoint, Jacques Guyaux (appelé «Luc»), Paul, devenu «Herman» s'active aux multiples tâches à accomplir: déceler des plaines convenant à un parachutage clandestin, en transmettre les coordonnées à Londres, les faire agréer par la R.A.F., former et instruire des équipes pour les «réceptions», assurer celles-ci, acheminer, entreposer et distribuer les «marchandises» reçues, en enseigner le bon usage.
Comme beaucoup d'autres, cette mission est plus dangereuse par les déplacements, les transports et les contacts qu'elle implique que par des opérations bien préparées de parachutage, au clair de lune. L'espoir ayant changé de camp, l'ennemi et ses polices se déchaînent. Les fouilles et les contrôles d'identité, renforcés par la collaboration d'auxiliaires belges, sont fréquents. De plus, les risques d'infiltration d'agents doubles par les polices ennemies et de dénonciation sont aussi élevés à l'A.S., que dans les autres groupes de résistance. Paul et son équipe y échappent, bien que leur mission, dont la durée a été fixée à quatre mois, en ait duré sept. Ils obtiennent l'agréation de plaines et réussissent des parachutages avec le concours de l'A.S., dans les régions de Gand, Denderleeuw, Saint-Nicolas, Grammont, Ypres, Courtrai, Menin et Termonde. Ces opérations contribuent efficacement à l'approvisionnement de l'A.S., qui se prépare à entrer dans l'action directe, dès que l'ordre lui en sera donné.
De même que la plupart des autres agents parachutés, Paul et son équipe sont amenés à accomplir d'autres actes de résistance que leur mission proprement dite. C'est ainsi qu'ils contribuent à l'évasion de cinq aviateurs américains dont l'avion a été abattu dans leur zone et qui sont hébergés provisoirement dans un hôtel, le Regina, réquisitionné par l'ennemi mais dont les propriétaires sont des résistants. Ils organisent le transfert de ces aviateurs à une ligne d'évasion. Très heureux d'apprendre, ensuite, par un «message personnel» convenu, leur arrivée à bon port, ils célèbrent joyeusement cette bonne nouvelle.
Son travail terminé, Paul et son "radio" s'apprêtent, en mars 1944, à regagner Londres par une filière de passage. Leur groupe peut comprendre deux autres volontaires. Jacques Bufquin des Essarts et son adjoint Jacques Guyaux, acceptent avec joie de s'y joindre. Si le premier est prévenu à temps du jour ainsi que de l'heure et du lieu prévus pour le départ, les deux télégrammes convenus, adressés par Paul au second, sont interceptés par ses parents. Ceux-ci, soupçonnant les activités clandestines de leur fils, devinent la portée de ces télégrammes et les détruisent. N'ayant pas reçu de réponse, Paul s'adresse à Jacques Delange qui prend la place réservée à Guyaux.


Jacques Bufquin des Essarts


Jacques Guyaux en fin de mission le 30 mars 1944



Le destin est imprévisible. L'initiative des parents de ce dernier préserve sa vie, tandis que les deux autres volontaires, arrêtés avec tout le groupe, à proximité de la frontière espagnole, sont battus, torturés et périssent asphyxiés dans le convoi qui les conduit, en juillet 1944, vers un camp de concentration nazi.
Un survivant français du convoi, Pujo, de Bordeaux, a fait le récit de leur mort. Les wagons à bestiaux, clos hermétiquement, qui transportent les prisonniers sont surchargés d'êtres humains et la chaleur y est étouffante. Le moral des deux Belges est magnifique, en dépit des conditions horribles de leur déplacement. La lèvre fendue par les coups qu'il a reçus, Jacques des Essarts n'en continue pas moins à plaisanter. Il dit à un certain moment: «je suis fatigué et vais dormir debout». Il ferme les yeux et s'affaisse soudain, tandis qu'un flot de sang lui coule des narines. Peu après lui, Jacques Delange s'affaisse à son tour et succombe, asphyxié.
Seuls, Paul et son "radio", Vivian, échappent à la mort.
Étant pourvus de matricules d'aviateurs, exigés et obtenus au départ de leur mission bien que leur octroi soit exceptionnel, ils se prétendent des aviateurs abattus et ne répondent aux interrogatoires durement menés par la Gestapo que dans les limites de la convention de Genève. Considérés, enfin, comme prisonniers de guerre, ils sont transférés par chemin de fer vers l'Allemagne. En cours de route, Vivian réussit une évasion très risquée. Ayant obtenu de son gardien l'autorisation de se retirer un instant dans les toilettes du train, qui roule à grande vitesse, il en brise la fenêtre et saute sur le talus de la voie ferrée. Sa chute provoque la fracture d'un de ses bras mais il est recueilli par des résistants français qui le soignent puis l'aident à rejoindre les forces alliées, qui ont débarqué dans l'intervalle.
Quant à Paul, il est transféré dans un "Oflag" de Silésie. Dès qu'il y arrive, il cherche un moyen d'évasion. Lors de l'approche des troupes soviétiques, il parvient à s'enfuir dans leur direction et à les rejoindre, à pied puis au moyen d'une bicyclette dont il s'était emparé.
Pédalant sur un chemin de campagne, il est intercepté par un char soviétique, dont les occupants, sibériens, le menacent de leurs armes. Ils ne connaissent aucune des langues utilisées successivement, par Paul, pour les convaincre de ce qu'il est un officier allié et non un ennemi.
Il y arrive finalement, en s'exprimant par des sourires et des gestes, rendus éloquents par la peur. Fouillé et laissé sur place sain et sauf, il est rejoint par d'autres soldats soviétiques, accompagnés d'un commissaire politique qui comprend l'anglais et le transfère sous bonne garde, à un officier de sécurité. Son évasion n'est pas entièrement réussie, pour autant. Bien qu'il soit reconnu comme officier allié et dorénavant bien traité, il entend rejoindre Londres au plus tôt. Cela n'est guère facile mais il noue des relations amicales avec ses hôtes soviétiques. Ceux-ci apprécient sa détermination de reprendre le combat, sa chaleur humaine, sa bonne humeur et sa capacité d'absorption de vodka ...
Une voie de retour lui est trouvée, après quelques semaines, dans un avion où une place lui est réservée.
Lorsqu'il arrive à Londres, il surprend les Britanniques par son curieux uniforme de fortune et, surtout, par le superbe bonnet d'astrakan dont il est coiffé. Ses nouveaux amis soviétiques lui ayant offert ce bonnet, à titre de souvenir, il tient à le porter à son arrivée ...
Après avoir fait les rapports qui lui sont demandés, il est rapidement rapatrié en Belgique libérée.
Mais ses missions de guerre ne sont pas terminées. La guerre continue et il veut continuer à servir. C'est ainsi qu'il obtient une nouvelle affectation, en qualité de capitaine attaché à la "Commission des crimes de guerre", opérant en Allemagne et dont la section belge est présidée par les ministres de la Défense Nationale et de la Justice. Il y accomplit efficacement sa mission sous la direction d'un autre ancien parachutiste, l'avocat Jules Wolf. Il contribue à la découverte et au transfert de criminels de guerre, spécialement dans la région de Hanovre.
Sa lutte contre l'occupant et ses aventures de guerre doivent être commémorées pour plusieurs raisons. Elles ont été peu communes. Il ne jouait pas au héros mais il était naturellement héroïque. La guerre finie, il ne demande et ne revendique rien, ne comptant que sur ses capacités, sur son initiative et sur son travail pour s'adapter à une vie nouvelle et entreprendre une carrière civile.
Atteint d'une maladie incurable, qui n'affecte ni son intelligence ni son caractère joyeux, Paul meurt avec une philosophie et une dignité remarquables, le 10 mars 1980.

Source bibliographique et photographique: "Avant qu'il ne soit trop tard" par Henri Neuman. Editions Duculot 1985.
 
 
Note: 5
(3 notes)
Ecrit par: prosper, Le: 28/08/11


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