Livre d'or
Image aléatoire
Galerie
Newsletter


Archives

 
Rss NIVELLES, 14 MAI 1940



Le samedi 11, le dimanche 12 et le lundi 13 mai ne voient guère les Aclots (habitants de Nivelles) inquiets. Le samedi, un avion allemand a bien attaqué la gare de Baulers et, pour la première fois, la foire agricole du lundi de la Pentecôte n'a pas eu lieu.
Des nouvelles parviennent tout de même: avance allemande en Hollande et bombardement du centre de Rotterdam. Des réfugiés affluent vers l'Ouest: ils ne veulent pas vivre les atrocités commises par la soldatesque de 1914. Mais on ignore la percée du Canal Albert, comme on ignore que dès le 11mai, deuxième jour de la guerre, le commandant de la place de Liège a déjà dû décider l'abandon de la ville, après avoir fait sauter les ponts de la Meuse. Personne ne sait qu'en Ardenne, les Panzer ont franchi l'Ourthe, que désordre et confusion sont déjà visibles au sein de l'armée belge et que l'angoisse s'installe à Bruxelles, où une foule de plus en plus dense se masse dans les gares aux fins de prendre les trains en partance pour la France. Les convois militaires français continuent de traverser Nivelles, tant par route que par rail: le chemin de fer à voie unique qui relie Manage à Ottignies en passant par Nivelles-Nord est, en effet, une ligne stratégique.
Dans Nivelles même, la Sûreté a arrêté les sujets de nationalité allemande, chose normale en temps de guerre.
D'autres personnes, dont des Nivellois suspectés de germanophilie, sont gardés à vue au Palais de Justice. Des bruits inquiétants circulent. On parle d'espions, de cinquième colonne, de parachutistes déguisés. "Méfiez-vous, des oreilles ennemies vous écoutent", susurre-t-on.
Et chacun au fond de son cœur, éprouve l'impression de vivre ses derniers moments de relative tranquillité avant l'arrivée de l'ouragan.
Le lendemain, mardi 14 mai, c'est l'agitation dès potron-minet. Des affiches annoncent que tous les hommes âgés de 16 à 35 ans, y compris les réformés, doivent se rendre à la gare de Nivelles-Nord en fin de matinée, pour être acheminés en lieu sûr (entendez par là dans le Midi).
D'autres affiches signalent la réquisition militaire ... des vélos!
Un très long convoi ferroviaire quitte la station vers 12h40 . Dans des wagons de troisième classe, à larges banquettes en bois, peut-être un millier de jeunes gens ont pris place. On frémit à la pensée du massacre qui eût pu se produire si ce train était parti avec 20 ou 30 minutes de retard! Des informations arrivent du front. Bien qu'on sache la situation peu brillante, on ne réalise pas que les avant-gardes allemandes se trouvent à 50 km de Bruxelles. Dans la matinée, les sirènes ont sonné plusieurs fois pour rien. Mais vers 13h15, cette fois sans que soit donnée l'alerte, apparaissent trois avions allemands. Ils volent bas et tournent autour de la Collégiale.
D'autres avions viennent se joindre à eux.
En un carrousel infernal, les bombardiers lâchent simultanément engins explosifs et incendiaires. Une grande quantité, semble-t-il, de bombes incendiaires de petit calibre. Elles tombent partout. Mais de toute évidence, c'est le cœur de la cité qui est visé. En une heure, la Collégiale, les maisons y accolées, le bâtiment de la Justice de Paix, le cloître, la Cave du Chapitre et l'Hôtel de Ville, ancien palais abbatial, sont disloqués par les bombes explosives et s'embrasent sous l'effet des bombes incendiaires.
Les habitants, les passants et les soldats français, qui ont laissé sur place leurs véhicules, ont cherché refuge dans l'abri aménagé sous la place Albert 1er et dans les maisons où les caves sont voûtées.
La chaleur de la fournaise s'intensifie. Les flammes montent, créant des tourbillons d'air brûlant. Comme pris dans une tornade giratoire ascendante, les dossiers administratifs de l'Hôtel de Ville se dispersent en une ronde de papiers enflammés que l'on voit virevolter dans les airs. A ce jour, personne encore n'a assisté à pareil feu d'artifice au milieu de la journée. D'endroits élevés de la ville, comme le Mont-Saint-Roch et le sommet des "24 apas" près de la Dodaine, des curieux ébahis regardent ce spectacle dantesque.
Les équipages de la Luftwaffe, leur funeste mission remplie, s'en retournent maintenant vers leurs antres. Après leur départ, le feu gagne l'avant-corps de la Collégiale.
Il faut dire que la haute flèche, dont le coq culmine à plus de cent mètres, est fixée sur le westbau par de solides poutrelles en acier; sur tout son pourtour et jusqu'au sommet, elle est charpentée de bois. Bientôt des torrents de flammes vont sortir par les « bawètes» (petites ouvertures) et monter de plus en plus.
La vision deviendra apocalyptique à 16 heures. Tout doucement, comme si on le sciait à la base, le clocher va pencher vers la rue Seutin. Lorsque son inclinaison atteindra 45 degrés, son poids vaincra la résistance des tenons métalliques en train de fondre. Pendant quelques secondes, le tonnerre de sa chute sur les immeubles étouffera le crépitement de l'incendie qui continue de faire rage tout autour.
Ceux qui ont vu ce drame s'en souviennent comme si c'était d'hier. Ceux qui n'étaient pas là à ce moment ne pourront plus jamais que faire appel aux photos, tableaux et dessins d'avant le 14 mai 1940.




Un correspondant de guerre français a réussi
à fixer sur la pellicule
l'insoutenable vision.
Les Nivellois en exode dans le Midi
vont découvrir la chute du clocher
dans "Match" du 26 mai 1940



Un sinistre de pareille ampleur exclut toute possibilité d'intervention des pompiers. Il n'y a d'ailleurs plus d'eau: une bombe explosive est tombée en plein centre du carrefour rue Delfosse - rue des Frères Grislein et rue Emile Vandervelde, faisant éclater, sous le sol, la conduite qui alimente la ville à partir des sources Clarisse. Gaz, électricité et téléphone sont coupés de même.
La protection civile et les autres associations humanitaires font l'impossible. Dès le début de l'attaque aérienne, leurs secours sont requis à l'angle du boulevard de la Dodaine et du faubourg de Charleroi. Des bombes ont explosé à proximité d'un cortège de réfugiés non-nivellois. Une dizaine de cadavres calcinés sont alignés sur le trottoir. On s'efforce de retrouver leurs pièces d'identité.
J. Coppens évalue les tués de ce jour à une centaine.
Parmi ces victimes, figurent pratiquement autant de civils que de militaires. Ajoutons-y la disparition, non seulement du palais des abbesses et de ses dépendances, mais encore fatalement de leur contenu. Archives communales, boiseries d'art, lambris, tableaux, mobilier, tout n'est plus que cendres. Dans ce bilan affligeant, une pièce aurait pu occuper une place de choix beaucoup plus tard: le drapeau des volontaires nivellois de 1830. Et que dire de la châsse de Sainte-Gertrude, ce joyau de l'orfèvrerie franco-belge du XIIIe siècle, dont il ne subsiste pas le quart?

A l'aube du mercredi 15 mai, le toujours brillant soleil éclaire des ruines qui fument depuis la veille. Des Nivellois ont pris le chemin de l'exode. D'autres qui n'ont pas jusqu'ici envisagé de partir, se sont momentanément résignés à vivre, qui chez des parents, qui chez des amis, qui chez n'importe qui. On héberge d'ailleurs tout arrivant, d'où qu'il provienne. C'est une magnifique solidarité entre patriotes, qu'ils soient du Nord ou du Sud. Des élans altruistes chez les humbles comme chez les possédants. Des scènes de pillage aussi, hélas, là où tout est à l'abandon.
Le matin, de rares trains circulent encore vers Manage, et leur accès est gratuit. Dans les wagons, s'entassent des réfugiés avec leurs baluchons, leurs chiens, chats et canaris. Tout cela se mêle à des militaires français et belges coupés de leurs unités. C'est la déroute. Le long de la ceinture de boulevards, des véhicules militaires refluent. De leurs camions, des soldats clament: "Fuyez! Sauvez-vous!" Obsédés par la psychose de la "cinquième colonne", ils sont prêts à mettre en joue tout individu louche. Il en est qui tiennent des propos pessimistes et même franchement défaitistes. D'autres maugréent contre nos hommes politiques et les chefs alliés. Les bruits
les plus alarmants circulent, mi-vrais-, mi-faux. Les collectivités, telles les maisons d'enfants, les homes, les pensionnats manquent de vivres et les pouvoirs publics sont incapables de leur en fournir.
Ce qui est certain à ce moment, c'est qu'en Hollande, la guerre est déjà presque terminée. En Belgique, côté Nord, les armées françaises et anglaises se replient vers l'Escaut et la Lys. Au Sud de l'Ardenne, la percée des blindés de Rommel a fait craquer le poste-clé de Sedan.
A Bruxelles, le gouvernement envisage de s'installer à Ostende, car l'avance allemande menace la capitale.
Cela, c'est la situation vers neuf heures du matin. Bientôt de nouveaux vrombissements ébranlent l'air au-dessus de Nivelles. Cette fois, les saturnales vont durer plusieurs heures. Par vagues successives, les bombardiers allemands s'acharnent sur les quartiers qui entourent la grand-place. Sur plusieurs hectares, Nivelles brûle d'une manière cauchemardesque, et la brise qui souffle en douceur vers Monstreux emporte un aussi long que large rideau de fumée. Des bombes perdues tombent çà et là dans des jardins, dans des terrains vagues et, aussi, sur des pâtés de maisons plus éloignés: au faubourg de Soignies, sur la place de l'Abreuvoir, aux faubourgs de Charleroi et de Namur, à la rue Clarisse, au square Seutin, au boulevard de la Dodaine. La ville allait-elle être rasée?
Il était permis de le croire et la panique collective, qui a causé l'exode massif, en débandade et en pagaille, devient ainsi explicable.
Pendant l'heure de midi, un ultime train fait halte à la gare de Nivelles-Nord. Il n'embarque plus personne, car il est complet. Un pilote allemand l'aperçoit. Il plonge dessus. Ses mitrailleuses crépitent; en même temps, il lâche un chapelet de bombes. Le machiniste, qui a conservé son sang-froid, prend le risque de lancer son convoi vers la campagne, par le passage à niveau de la chaussée de Hal, mais l'avion le pourchasse. Ses coups tomberont sur une longueur d'un kilomètre, du côté gauche de la voie ferrée. D'où des destructions - et d'innocentes victimes - en divers endroits, notamment à l'Avenue Albert et Elisabeth et au milieu du Mont-Saint-Roch. Les réparations aux murs sont toujours reconnaissables en 1990.
A ce stade du récit, on peut s'interroger quant aux buts que s'était fixés l'état-major allemand en choisissant Nivelles pour objectif. Deux intentions apparaissent :
D'abord la ville de Nivelles est un lieu de convergence de communications, à savoir sept directions routières et sept terminus ferroviaires.
C'est donc la désorganisation des mouvements au sein des forces alliées qui est visée. Mais, Hitler veut provoquer un puissant choc psychologique chez les civils, les décourager, les démoraliser, et les amener à gêner les manœuvres militaires.
Les violentes actions engagées contre des villes-cibles comme Tournai, Nivelles, Wavre, Perwez et d'autres ont, il faut bien le dire, dramatiquement réussi.
Les avions allemands mis en service en 1940 sont de plusieurs types: Dornier Do 17, Heinkel He 111, Junkers Ju 86 (peu employés), Junkers Ju 87, utilisés en petites formations pour les bombardements en semi-piqué, et les redoutables Junkers 87 Stuka. Il est probable que les appareils qui ont détruit le centre de Nivelles sont des bimoteurs Do 17 et He 111. Ils transportent en même temps bombes explosives et bombes incendiaires; les premiers emportent une tonne, les seconds deux tonnes.
Les témoins rapportent comment s'effectue le lâcher des engins meurtriers: trois bombes à la fois. La bombe centrale, de gros ou moyen calibre est purement explosive; elle est encadrée par deux petites bombes incendiaires.
Mais revenons à notre journée du mercredi 15. Convaincus que Nivelles est destinée à être rayée de la carte, les citoyens nivellois encore présents bouclent les valises et portent leurs pas, en bonne partie, vers la France, via Binche, La Louvière ou Mons.
Les tout derniers se décideront le jeudi matin après une hésitation, car les Français qui battent en retraite se contredisent. "Partez, ordre du haut commandement», crient certains. "Pas la peine", hurlent d'autres, "les B..... rappliquent".
Est-il besoin de dire que plus aucun service ne fonctionne à Nivelles? Qu'à l'hôpital, on entasse cadavres et blessés? Qu'en cette même institution, 18 personnes seulement (sur plus de 100 en temps normal, et encore, il n'y subsiste ni médecin ni médicaments) s'occupent tant bien que mal des hospitalisés et des pensionnaires de la maison de retraite? Que pour toute la ville, il reste entre 200 et 300 personnes, soit à peine deux pour cent?
Pour Nivelles, plus jamais rien ne sera comme avant.
Quelques bombes et obus allemands tomberont à nouveau pendant la journée du jeudi 16 mai et au cours de la nuit suivante.
Le vendredi 17 à cinq heures du matin, heure pour heure une semaine après le déclenchement de l'offensive sur les pays du futur Benelux, les premiers motorisés allemands roulent sur les pavés nivellois
Ce sera le début de l'occupation nazie. Elle durera quatre ans et trois mois et demi.

Source bibliographique:
"Nivelles sous les bombes allemandes en 1940" Numéro spécial de "Rif Tout Dju" de mai 1980 via "Nivelles An 40" numéro de mai 1990 de "Rif Tout Dju" Louis genty
Sources iconographiques:
http://octavesanspoux.jimdo.com/nivelles-en-guerre/la-grand-place/
Numéro de mai 1990 de "Rif Tout Dju" Louis Genty
 
 
Note: 5
(2 notes)
Ecrit par: prosper, Le: 06/07/14


Scroll
Scroll