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Rss Le lierre s'accroche.......
Cette nuit du 10 avril 1944 est étrangement douce. La période de pleine lune, qui s'achève, ne l'avait pas fait prévoir ! Il pleuvait. Le vent sifflait, hier, à travers les fils électriques de la ligne à haute tension à Saint-François près d'Issoudun! L'homme qui s'en approche, une torche électrique à la main, est le cabinier chargé de surveiller les transformateurs électriques du canton. Son sommeil vient d'être interrompu brutalement. Un court-circuit a provoqué une forte étincelle. Deux villages voisins sont plongés dans l'obscurité. Apparemment un câble s'est détaché. Le technicien s'aperçoit bien vite qu'il est question de tout autre chose. Un parachute, dont les courroies ont été coupées, se balance le long d'un pylône.C'est lui, ou plus probablement le personnage qui pendait à ses sustentes, qui a provoqué le court-circuit. Ayant été jusqu'à la ferme voisine se procurer les outils qui lui manquaient, l'employé de l'électricité revient et récupère le parachute. C'est ainsi qu'à deux mois du débarquement à un moment où il devient évident que va se produire cet événement le plus surprenant de l'histoire militaire contemporaine, Jean de Blommaert de Soye accomplit la première partie de la mission qu'il a acceptée. A vrai dire, ce n'est pas la première mission du parachuté et ce n'est pas exactement ainsi qu'il avait été prévu que cette mission commencerait. Quelques mois auparavant, le 20 décembre 1943, Edouard Pottier, capitaine dans l'armée belge, et Jean de Blommaert de Soye, l'un des dirigeants de cette ligne " Comète " qui récupère depuis des mois des aviateurs alliés tombés à l'aller ou au retour des gigantesques bombardements sous lesquels se détruit le potentiel industriel et militaire allemand, avaient atterri en France. Leur mission était de réorganiser les lignes d'évacuation des aviateurs et des patriotes " brûlés ". Capturé, torturé, Pottier avait héroïquement choisi, après une longue série de tortures au cours desquelles ses interrogateurs à la prison de Reims lui arrachèrent un oeil, de se jeter par une fenêtre du deuxième étage et de s'écraser au sol, incertain qu'il était, ce héros, de pouvoir longtemps encore garder le silence. La tâche, pourtant, qui avait été confiée aux deux hommes, était accomplie. Sous l'autorité de Gaston Matthys, des camps, des maquis, dont les principaux se trouvaient à Acremont et à la Cornette dans les environs de Bouillon, rassemblent les aviateurs qu'il est devenu difficile d'évacuer vers l'Espagne. Après le sacrifice de Pottier, Jean de Blommaert, que nous appellerons désormais, comme ses amis, "le Blom ", retourne en Grande-Bretagne. Il y a trouvé - nous sommes le 9 mars 1944 - l'étrange atmosphère qui a précédé le débarquement de Normandie. La tâche serait bien difficile à l'historien qui aurait souci de faire l'inventaire des personnes qui, dans le monde libre, savaient où et quand se ferait ce débarquement. Certainement le nombre de ceux qui étaient dans le secret de l'opération "Overlord " devait être considérable. La discrétion n'en fut pas moins absolue. Nous savons aujourd'hui que les états-majors hitlériens n'ont pas su, jusqu'au 6 juin, où leur serait porté le coup qui devait abattre l'orgueil nazi.


Avec le colonel Airy Neave, chargé par M.I.9. de veiller sur les " escape lines ", " le Blom " a fait le tour des problèmes qui se posent, non pas seulement à " Comète ", mais à toutes les lignes de récupération d'aviateurs. Or, le nombre de ces derniers augmente considérablement. Assurément la maîtrise du ciel appartient presque totalement aux alliés. Toutes les grandes villes du Reich sont en feu. Chaque nuit, les usines de la Ruhr, les centrales électriques, les lignes de communication sont bombardées. Américains, Canadiens, Anglais, dirigent leurs escadres et les chasseurs qui les protègent vers les coins vulnérables de l'agresseur nazi. La Luftwaffe de Goering se borne, non sans courage, à abattre quelques-uns des milliers d'avions qui survolent le continent occulté. La Flak, la défense aérienne de la Wehrmacht, abat elle aussi quelques appareils. Chaque fois, une partie au moins de l'équipage échappe à l'écrasement.
Or, on manque de pilotes, on manque d'observateurs, on manque de canonniers. La guerre dévore les hommes. Il est important que tous ceux qui veulent reprendre leur tâche au combat - et tous le veulent - rejoignent leurs bases.
Comment? Par l'Espagne? Par Gibraltar? Par Lisbonne? Traverser la France devient presque impossible. Bientôt, du moins à l'ouest du pays, ce sera vraiment infaisable. Il reste deux autres voies. L'une est l'enlèvement aérien. Depuis la fin de la guerre on a beaucoup parlé de ces enlèvements aériens. Le nombre de gens qui croient en avoir été les témoins, ou qui laissent entendre qu'ils auraient pu en être les bénéficiaires, ne correspond pas tout à fait à la réalité. Des Lysander, petits appareils à atterrissage très court, se sont parfois posés dans des champs en Belgique ou sur des terrains abandonnés de l'armée de l'air française. Des agents secrets y furent déposés, d'autres furent embarqués. Des hommes importants, comme Vincent Auriol, futur Président de la République, ont été ainsi enlevés. Mais le nombre d'opérations des Lysander a été très limité. Vers la fin de la guerre leurs possibilités deviennent infimes. Tout aussi légendaire est l'autre voie d'évacuation, la voie maritime. Quelques Belges se sont, tout au début de la guerre, échappés au départ de Nieuport. Quelques barques de pêche ont réussi à franchir les limites de la zone très courte qui leur était assignée. Mais on compte en unités les bénéficiaires de ces opérations. Sur une plage bretonne, à Plouha, un petit réseau appelé Shelburne, conduit par un personnage exceptionnel qui s'appelle Lucien Dumais, a réussi à récupérer des aviateurs après que leurs forteresses volantes eussent été abattues et à les faire embarquer sur une vedette lance-torpilles. Mais au moment où nous sommes, ce genre d'opération devient impossible. L'accès à la zone du littoral, sur laquelle s'élève le mur de l'Atlantique, appelé ligne Todt, du nom de l'ingénieur allemand qui a construit cette interminable fortification, est absolument prohibé. Assurément l'étendue de la zone d'alerte est telle que la protection en est assez souvent inefficace. N'empêche qu'on ne pouvait plus espérer mettre en opération des enlèvements maritimes semblables à ceux du réseau " Shelburne "
Les responsables britanniques et "le Blom " avaient un autre souci celui des " hébergeurs ". Le mot a été créé pour désigner des patriotes qui servaient de relais à ce long cortège de la récupération. Â quel risque ! Les " hébergeurs " ne sont pas dans l'action. Leur rôle est de discrétion. Mais, chaque fois que l'un d'eux est pris, c'est le Conseil de guerre et l'exécution ou l'envoi dans un camp de concentration au-delà du Rhin. Or, beaucoup sont pris. Au sein des convois d'aviateurs récupérés se glissent des agents provocateurs de l'ennemi. Les aviateurs eux-mêmes qui avaient échappé au continent assiégé et rejoint leurs escadrilles, à travers l'Espagne, n'étaient pas toujours suffisamment discrets sur les conditions de leur évasion et de leur retour. Un beau matin, à l'heure du laitier, la police d'occupation est là…
Il ne fallait pas des mois pour qu'une hécatombe frappe ces héros discrets qui acceptaient, à l'avance, un sacrifice dont ils n'ignoraient pas la cruauté.
Une suggestion amenée par " le Blom " et accueillie d'abord avec pas mal de réticence, finit par être acceptée. Il s'agit de la création de camps où des aviateurs américains et alliés attendraient le développement des opérations militaires. Il serait toujours temps, à ce moment, d'aviser quant aux manières de les ramener vers la Grande-Bretagne. Ainsi naquît ce que les Anglais ont appelé le plan " Sherwood", parce qu'Airy Neave, comme tous les Anglais de son âge, avait baigné durant son enfance dans les histoires de Robin des Bois. Les Français et des Belges, plus classiques peut-être dans leur formation, optèrent pour " opération Marathon ". Airy Neave et " le Blom " se penchent sur des cartes et évoquèrent leurs propres souvenirs, pour s'arrêter finalement sur une carte limitée par le triangle Chartres - Châteaudun - Orléans. Le choix se fixa sur la forêt de Fréteval qui se trouve entre Châteaudun et Vendôme. Elle présentait l'avantage d'être la forêt la plus dense de la région et d'être entourée de zones propices à des parachutages.
Le réseau des petites routes était suffisant pour qu'on puisse penser que l'homme à bicyclette qui allait être le " client " allait pouvoir assez aisément la rejoindre. Dans le petit appartement de Pelham Crescent, l'enthousiasme grandissait au fur et à mesure que le projet se précisait.
Neave était bien résolu à être l'un des premiers agents des services secrets britanniques à débarquer pour aller libérer les camps de Sherwood et aller récupérer les aviateurs suffisamment tôt pour qu'ils puissent encore participer à l'offensive.
Les chefs de " Comète ", par le canal de Madame De Greef, qui était leur représentant à Saint Jean de Luz et par Yvon Michiel (Jean Serment), furent avisés de ce projet. Une équipe fut recrutée. Sagement Neave et Jean de Blommaert convinrent qu'un des problèmes majeurs dans ce genre d'initiative était la discipline. Â ce moment se présenta le lieutenant-colonel aviateur Boussa. Lucien Boussa, squadron leader de la RAF, venait de commander l'escadrille belge N° 350. Le règlement de la RAF, s'appuyant sur le fait que les pertes dans les opérations au-dessus de l'Allemagne étaient généralement de 5 % à chaque raid, voulait qu'après trente raids ceux qui n'avaient pas été abattus fussent considérés comme des miraculés et retirés de la liste des équipages. En vérité, on se méfiait un peu sans le dire de la baraka provocante dont ils avaient bénéficié. Ils étaient alors versés dans des services d'entraînement ou dans des bureaux. Lucien Boussa n'avait aucune envie de devenir moniteur. Mais Airy Neave pensait qu'un officier de grade élevé de la Royal Air Force aurait probablement plus d'autorité sur des hommes que leur inactivité devrait certainement ronger. On choisit pour accompagner Boussa un radio brillant et courageux du nom de Toussaint, qui devint Tayler pour la mission. Deux détails allaient entraîner quelques petites complications. On ne les cite ici que pour que le lecteur mesure que le genre d'opération décrit dans ce chapitre ne se compare pas à un " hike " de boy-scouts; le moindre détail est capital. Or Lucien Boussa a déjà dû sauter en parachute au cours d'une opération de la Royal Air Force et il a juré qu'on ne l'y prendrait plus. Il est vrai que pendre au bout des sustentes d'une coupole de nylon et se sentir une cible offerte au tireur installé sur le sol n'est pas une situation très confortable. Aussi fallut-il organiser pour Boussa et Taylor un retour terrestre qui leur fit faire à contresens le chemin de la plupart des évadés, à travers le Portugal, l'Espagne et les Pyrénées. Le tout clandestinement. Le deuxième obstacle est que l'on s'aperçut, au cours de l'inévitable enquête de contrôle des décisions prises, que la forêt de Fréteval n'avait pas échappé à l'autorité militaire allemande qui, elle aussi, en avait remarqué les qualités elle l'avait choisie pour en faire un dépôt de munitions. Toujours optimiste, " le Blom " décréta qu'il s'agissait là plutôt d'une découverte heureuse que d'une raison de méfiance. Personne ne pouvant s'approcher d'un dépôt de munitions considérable, ceux qui le feraient et qui réussiraient à se cacher dans la forêt, se trouveraient particulièrement à l'abri.
 ces deux difficultés vint subitement s'ajouter un problème extrêmement grave. Les lignes d'évacuation et l'ensemble des réseaux de Paris et de Normandie avaient été " pénétrés " par des agents ennemis. Le traître belge à la main duquel il manquait une phalange, Prosper Desitter, avait réussi à faire entrer dans les lignes un agent à lui, Pierre Boulain. Dans un autre récit, peut-être vous souvenez-vous d'avoir rencontré Françoise Dissart. Cette Française étonnante et héroïque n'avait rien trouvé de mieux au lendemain de l'arrestation de son chef que d'arpenter le trottoir longeant la prison en chantonnant, de manière à communiquer en termes aussi mélodieux que voilés de précieux renseignements à celui qui était en cellule. Le principal "passeur " que la ligne " Comète " chargeait d'escorter ces "colis" était une toute jeune fille du nom de Michou Dumont, qui, habillée en écolière, réussissait à passer souvent à peu près inaperçue. Michou fit ce qu'avait fait Françoise Dissart. Le long des murs de la prison de Fresnes, elle réussit à entrer en contact avec les victimes de la récente vague d'arrestations et à s'entendre dire que le traître était Pierre Boulain et qu'il connaissait très bien "le Blom ". Averti, ce dernier prit des précautions. Mais qui était Pierre Boulain? On soupçonnait bien un certain Jean Masson. Mais la preuve n'était pas acquise.
Contact fut pris avec un groupe spécial de la Résistance française qui se chargeait de faire disparaître les traîtres. Un jour un message en provenance de ce groupe annonça que l'opération avait été exécutée. En tout cas ni Pierre Boulain ni Jean Masson n'interférèrent plus désormais avec l'opération Marathon.
Mais ce n'est qu'après la libération qu'on découvrit que le traître s'appelait Jacques Desoubrie, celui-là même qu'un beau jour "le Blom " avait trouvé à un rendez-vous secret qui ne devait être connu de personne et surtout pas de lui.
Soupçonnant le caractère vénal du traître, "le Blom " lui avait astucieusement donné un rendez-vous au cours duquel il devait lui remettre cinq cent mille francs destinés à être portés en Belgique et dans lesquels le personnage ne manquerait pas de voir l'occasion d'une recette indirecte. Ainsi "le Blom " échappa-t-il à la capture. Ce ne fut pas le cas de Desoubrie qui avoua ses crimes et fut exécuté à Lille.
Neave et " le Blom " allaient encore rencontrer d'autres difficultés, la principale étant la persistance du mauvais temps déjà évoqué au début de ce récit. Il fallut tout l'enthousiasme du représentant de M.I.9. pour obtenir que le meilleur des pilotes abandonne son conge, reprenne les commandes de son avion et accepte de parachuter " le Blom " et Daniel Ansia à Saint-François.
Les cartes sont une chose. Le souvenir en est une deuxième. La réalité est parfois quelque peu différente. " Le Blom " connaissait bien la région. Il n'avait pas pensé à la ligne de haute tension Voyant les fils monter vers lui, tandis que Daniel Ansia se posait sereinement un peu plus loin, il opéra un redressement de sa trajectoire qui le fit glisser le long d'un pylône, provoquant le court-circuit dont on a parlé par un contact entre sa sacoche dorsale contenant les deux millions de francs français que Neave venait de leur confier, et certains fils conducteurs d'électricité. Pris dans les crochets du pylône, notre homme se rendit compte qu'il n'avait qu'une solution, celle de couper une courroie qui le rattachait au parachute, désormais prisonnier des câbles de la haute tension. Le résultat fut que le parachutiste, opérant une complète révolution, se trouva pendu par les cuisses, la tête en bas. Il ne dut qu'à Daniel Ansia, lequel ne réussissait pas à maîtriser un rire irrespectueux, d'être libéré et de prendre avec le sol français le contact discret qui depuis Londres était dans ses projets. Heureusement un ami du " Blom", vivant dans un château du voisinage, avait accepté d'être l'" hébergeur " particulièrement exposé des deux parachutistes. Un de ces messages que la B.B.C. diffusait à l'intention des agents clandestins avant chacun de ses bulletins d'information, avait prévenu Louis-René des Forêts que, suivant l'heureuse formule de Gilbert Kirschen, " des amis viendront ce soir ". Ce message conventionnel était: "le lierre s'accroche à la maison ". Aucune allusion au parachute qui s'accrocherait au pylône de la ligne électrique Le petit avion Hudson qui a amené nos deux héros est rentré en Grande-Bretagne. Le parachute du " Blom " a été caché par l'agent de la Régie d'Electricité. Louis-René des Forêts a abrité ses amis. La mission " Marathon " peut démarrer.
À Paris, " le Blom " rencontre cet autre chef de la ligne " Comète " dont on sait qu'il a été prévenu, Jean Serment (Yvon Michiels). Se produit alors ce miracle des bonnes volontés qui se rencontrait souvent dans la Résistance. À Bruxelles aussi on a pensé qu'il ne serait pas possible de poursuivre l'expérience préparée par l'héroïque Edouard Pottier. Soixante pour cent des aviateurs récupérés, qui avaient été confiés aux maquis d'Ardenne sous la surveillance de certains groupements armés, avaient été inévitablement repris. Il fallait trouver autre chose. Fréteval fit l'unanimité.
La forêt est longue d'une dizaine de kilomètres. La localité la plus proche est Cloyes-sur-le-Loir. Un des camps allait être établi au nord et l'autre au sud du massif forestier. Lucien Boussa commanderait le camp N° 1. Jean de Blommaert le camp N° 2. Evidemment tout reste à faire en-dehors d'un plan théorique et d'une rencontre de bonnes volontés. Pour loger entre cent et deux cents hommes, il faut beaucoup de choses. L'aide de la Résistance française régionale est acquise. Cette Résistance est commandée par un jeune enseignant dont le nom deviendra célèbre. Il s'appelle Maurice Clavel. Des boulangers, des forestiers sont mobilisés, des tentes qui avaient appartenu à l'armée française et quelques autres qui appartiennent encore à l'armée allemande sont achetées au marché noir ou conquises au cours d'opérations armées. Parmi elles trône une grande tente de l'armée britannique, vestige du réembarquement rapide de Dunkerque en 1940.
Bientôt six baraquements, dont chacun peut abriter neuf hommes, entourent le dépôt de munitions de la Wehrmacht dans la forêt de Fréteval. Mais il ne suffit pas de loger les hommes. Encore faut-il les ravitailler et, lorsqu'on fait la liste des provisions de base, on mesure les difficultés rencontrées par les gestionnaires de la forêt.
Cette liste établie par eux après l'opération " Marathon " de septembre 1944 considère comme indispensables
-500 g de pain par homme et par jour,
-un kilo de beurre pour deux hommes par jour,
-un litre de lait et 2 oeufs par homme et par jour
-400 g de patates, 100 g de viande, 8 cigarettes par homme et par jour.
À quoi il faudrait Si possible ajouter des légumes, du café, du sucre, du thé et des fruits. Le miracle est que presque tout cela a été trouvé ! Parce qu'il fallait bien recourir aux grands moyens, "le Blom " a recruté un nommé " Pierrot ", authentique gangster, chef d'une bande de truands qui, convaincus de travailler pour le marché noir parisien (et un peu allemand) et grassement payés à cette fin, rabattent pour les menus de Fréteval du bétail et de la volaille. Les premiers aviateurs "récupérés " sont orientés vers l'Eure et le 6 juin jour du débarquement, les deux premiers s'installent au camp, tandis que l'hôtel Saint-Jacques, dans la petite ville voisine de Cloyes, devient, grâce à la protection du gendarme Jubault, une sorte de centre de dispatching. Londres est tenu au courant et dans la nuit du 5 au 6 juillet, quinze containers sont parachutés dans les environs avec une bonne partie du matériel qui manque. Il y eut au total cent cinquante-sept aviateurs et patriotes recherchés dissimulés dans la forêt de Fréteval. L'autorité de Lucien Boussa est telle que la discipline, combien difficile pourtant dans ces circonstances, est impeccable pendant toute la bataille de Normandie. Airy Neave a débarqué avec quelques jeeps et quelques-uns de ses agents français et belges préparés à des infiltrations au travers des lignes en vue d'aller récupérer aussitôt que possible les aviateurs de Fréteval et d'autres. Car il y a aussi un camp à Auneuil près de Beauvais, et une cinquantaine d'autres " pilotes " se trouvent dans la région de Chantilly
Les Américains ont foncé à travers les lignes allemandes et leur blindés montent irrésistiblement de Saint-Lô vers Cherbourg. Cet énorme mouvement de troupes doit faire face à la contre-offensive allemande de Mortain. Neave et son petit groupe, qui ne disposent en tout et pour tout que d'une douzaine de jeeps et de quelques armes automatiques, piétinent en attendant de pouvoir réaliser leur programme. En arrivant au Mans, où il s'installe à l'Hôtel Moderne, Airy Neave a le moral très bas. L'état-major américain a d'autres soucis et ne veut pas détourner la plus petite unité pour libérer Fréteval. Mais comme tout au long de cette histoire le destin est favorable à la Résistance, Neave va se trouver nez à nez avec le capitaine Anthony Greville-Pell qui, à la tête de quatre officiers et de trente-quatre hommes, a été chargé par les services secrets de mission à l'arrière de l'ennemi et qui y a parfaitement réussi. Tandis que les hommes du S.A.S. et ceux de Neave cherchent comment rejoindre Evreux, vingt-trois para-commandos belges viennent s'ajouter au groupe. Du coup l'opération devient possible. Le 11 août, tandis que dans son hôtel du Mans, Neave, assisté par ses nouveaux collaborateurs, échafaude des plans, on apprend l'arrivée de Lucien Boussa qui, escorté par le minotier Viron qui s'est fait le ravitailleur principal du camp de Fréteval, a passé au travers des lignes ennemies et alliées. Boussa confirme qu'à Evreux, les Allemands sont en débandade. Les villages voisins des camps arborent impunément le drapeau français. Une opération sur Fréteval apparaît assez aisée. Or la discipline maintenue sans faille jusqu'à ce moment commence à fléchir. Boussa s'en va avec la promesse que le 14 août, Neave et son " armée privée " feraient la liaison avec Fréteval. Mais les choses se précipitent. Le lendemain, c'est Jean de Blommaert qui, à son tour, réussit à passer les lignes pour venir insister sur l'urgence d'une opération. La Résistance française est prête à aider les Anglais et les Belges. Neave, appelé pendant son déjeuner, est amené jusqu'à une des places du Mans.
Couvertes de drapeaux et de fleurs, escortées par des résistants bien armées, seize voitures et camionnettes ont été rassemblées pour aller libérer la forêt de Fréteval. Très tôt le convoi est de retour au Mans avec les aviateurs libérés. Au fur et à mesure que les maquisards forcés, penchés sur des radios portatives, réalisaient l'approche de leurs camarades débarqués le 6 juin, il devenait difficile de maintenir dans la forêt, qui est désormais au centre d'une ligne de combat, la discipline qui y avait régné les premières semaines. Il fallut même déplorer une perte sérieuse, qui heureusement ne fut pas définitive. Virginia d'Albert-Lake, épouse du chef des lignes d'évacuation à Paris, se fait arrêter avec une équipe d'Américains qu'elle escorte vers Fréteval. Hélas l'officier allemand qui commandait la patrouille, comprenait très bien le français et n'eut aucune peine à discerner le curieux accent - elle était Américaine - de Madame d'Albert-Lake. Pendant qu'elle s'expliquait difficilement sur l'important magot dont elle était porteuse, les " colis " se dispersent en catimini. Ils seront recueillis par des habitants de la région, chez qui " le Blom " les retrouvera dans les jours suivants. Virginia d'Albert-Lake sera envoyée à Ravensbrück, le sinistre camp de concentration pour femmes d'où elle reviendra péniblement.
Pendant ce temps, l'avance alliée se poursuit. Paris est sur le point d'être libéré. Neave fut invité, raconte le colonel Remy, par un message radio impératif, à renvoyer sans tarder "le Blom " à Londres, ce qui priva le responsable de " Marathon " de l'ivresse caressée d'entrer à Paris avec les blindés de Leclercq
On ne connaît pas dans l'histoire de la libération de l'Europe de réussite plus éclatante que celle-ci. Edouard Pottier, qui participa à ses débuts, n'en vit hélas pas la fin glorieuse.
Entre avril et août 1944, s'est déroulée, dans la forêt normande une opération qui eût valu à ses auteurs une reconnaissance éclatante et des poèmes épiques si l'attention publique n'avait alors été retenue par des actions bien plus importantes que le sauvetage de quelques dizaines d'aviateurs, lesquels avaient d'ailleurs déjà repris à ce moment leur place dans le ciel.


Source bibliographique: "Histoires de Résistants" de William Ugeux, Editions Duculot 1979 -pages 153 à 163.
 
 
Note: 5
(1 note)
Ecrit par: prosper, Le: 28/05/11


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